Musikunterstadl: Guyer's Connection et ce qui s’en suit

Musikunterstadl: Guyer’s Connection et ce qui s’en suit

Parce que non, il n’y a pas que
des petits orgues suisses et DJ Bobo, présentation du
parcours étonnant d’un groupe suisse méconnu

1983, Bâle, Tibor Csebits et Philippe Alioth, respectivement 15
et 16 ans. Ces deux jeunes vont créer le groupe Guyer’s
connection. Comme beaucoup de jeunes occidentaux, ils
commençaient à en avoir marre de la définition
normée du groupe de rock (2 guitares + 1 basse + 1
batterie = 1 groupe). Comme (et après) beaucoup, ils tombent
amoureux des synthétiseurs. Mais comme très peu de gens
de leurs âges, ils décident de concrétiser tout
ça en auto-produisant un album, nommé Portrait. Bien
sûr, la distribution d’un tel disque relève de
l’hyper-confidentialité. Mais à l’heure
d’internet, ce concept n’existe plus et on a facilement
accès à ce disque qui se trouve être vraiment bon.
On pense surtout à la première chanson de l’album
« Pogo of techno » qui nous plonge dans des
mélodies épurées et fascinantes, très cold
wave. Portrait enchaine chansons instrumentales et à texte dans
un univers très dark : on retiendra
« Arabia », qui sample (le sample est un
procédé qui consiste à utiliser dans une chanson
un extrait d’une autre source) de la musique arabe pour y ajouter
une ritournelle synthé très efficace,
procédé qui présageait de la suite des aventures
de nos compères. « Ein Glass von
Gurken » permet l’impossible : sentir sa
tête se dandeliner sur des paroles suisses-allemandes, tant la
mélodie est obsédante. C’est bien cela qui fait la
qualité de Portrait, étonnant de maturité, des
mélodies sobres et pourtant entêtantes, le synthé,
sans être puissant, impose des rythmes mélancoliques forts.

Comment sampler l’appel du muezzin permet de faire un tube

Peu après Portrait, c’est la fin de Guyer’s
Connection, lorsque Tibor Csebits se tourne vers d’autres
occupations. Mais Philippe Alioth n’est pour autant pas seul, il
est maintenant accompagné par Christoph H. Müller (futur
fondateur de Gotan Project, le groupe de tango-electro-chic). Ensemble,
ils fondent un premier groupe, Billy Bordelli, auquel ils renoncent
suite aux problèmes qu’ils rencontrent à force de
jouer nus sur scène. Les concerts de Billy Bordelli se voulaient
l’inverse du traditionnel rock show, présentant
plutôt la transposition du travail de studio sur scène.
Néanmoins, leurs concerts n’ont pas la réputation
d’avoir été barbants. Ainsi, certains se
souviennent de leur concert donné en 1989 sur la place
fédérale de Berne, lors du festival Stop the Army,
où ils ont conquis une foule enthousiaste.

    Les deux compères fondent ensuite, en 1986,
Touch El Arab avec Stefan Hopman. Leur premier titre « Sag
mir wo die Nazis sind » est une chanson antifasciste. Leur
disque, LRK, fut un succès non seulement en Suisse, mais aussi
en France et en Italie. Leur single
« Muhammar » qui sample l’appel du
muezzin fut notamment numéro 4 des charts helvétiques.
Wouah ! Même si les paroles de cette chanson sont
d’ordre humoristique, contant les déboires d’un
dénommé Muhammar qui ne peut pas conduire parce
qu’il a trop bu, on a de la peine à imaginer
aujourd’hui qu’un groupe ait du succès en Suisse en
s’inspirant de la musique arabe. Cette quatrième place est
de plus véritablement significative, l’effondrement du
disque n’ayant pas encore eu lieu en 1986, le règne des
charts battant encore son plein. Le livret de LRK vante les
qualités de la musique arabe et affirme que cette
dernière devient véritablement intéressante lors
de l’appel à la prière du Muezzin, car celui-ci est
le seul à pouvoir introduire des variations et des
transformations dans le chant sacré.

    Si LRK est un album intéressant, on ressent
une très forte influence du génial My Life in the Bush of
Ghosts de Brian Eno et David Byrne, sorti déjà en 81. On
retrouve la même utilisation du sample de musique africaine,
auquel on mêle des samples de prêches. On rajoute à
tout ça un beat punchy et saccadé. L’album comporte
également quelques chansons plus lentes. Le tout reste de la
bonne synth-pop assez variée. Ainsi « Le Droit
chemin » est une jolie chanson à texte, assez
conventionnelle. LRK oscille entre titres etno et chansons plus punks
comme « Militant ». Les textes, eux,
hésitent entre humour et discours anti-système. Bref un
album étonnant par son côté touche-à-tout et
déconcertant par son manque de cohérence.

    Philippe Alioth, décidément instable,
en eut vite marre du succès rencontré par Touch El Arab
et décida de quitter le groupe pour en fonder un
nouveau : Spartak, qu’il définit lui-même
comme un « groupe électro-hardcore-industriel
d’influence stalinienne ». Ce groupe sortit 4 albums
dont le dernier fait rêver rien que par son titre : Golem,
Survive of the fittest, Omagiu et Blond Mao. De leurs
côtés, les autres membres de Touch El Arab sortirent un
dernier single : « civil war ».

    Depuis Philippe Alioth s’est lié
à Alexander Friedrich pour former un duo techno/house,
nommé tout simplement Alioth & Friedrich. Aux
dernières nouvelles, Philippe serait toujours en
activité, évidemment sur le point de former un nouveau
groupe.

Pierre Raboud


On peut trouver facilement
les albums de Guyer’s Connection et Touch El Arab sur internet,
notamment sur l’excellent blog Mutant Sounds
(mutant-sounds.blogpsot.com). Par contre pour Spartak et Billy
Bordelli, c’est plus difficile.