Contre l’hégémonie US: un bloc latino-américain et caribéen
Contre lhégémonie US: un bloc latino-américain et caribéen
Réunis à Cancun, au
Mexique les 22 et 23 février derniers, tous les
représentant-e-s des Etats latino-américains et
caribéens, sauf du Honduras, ont formellement donné
naissance à la Communauté des Etats
latino-américains et caribéens. Cet organisme, une sorte
de nouvelle Organisation des Etats Américains (OEA), mais sans
les Etats-Unis et le Canada, marque un pas supplémentaire dans
la prise de distance de lAmérique Latine par rapport
à la superpuissance du Nord. En guise déclairage,
nous publions un article de Raul Zibechi, militant, journaliste et
auteur Uruguayen paru dans le quotidien mexicain La Jornada.
La création de la Communauté des Etats
latino-américains et caribéens sinscrit dans le
virage mondial et continental, caractérisé par le
déclin de lhégémonie étatsunienne et
lascension dune série de blocs régionaux
qui donnent forme à un nouvel équilibre global. La
création de cet organisme, sans la présence du Canada et
des EtatsUnis, était en gestation depuis un certain
temps, mais commence à prendre forme après le fiasco
notable de lOrganisation des Etats Américains (OEA) dans
la résolution de la crise provoquée par le coup
dEtat au Honduras, pays qui pour le moment ne fait pas
partie de lorganisme en gestation.
Un processus dautonomisation
La décision, préparée durant les deux
dernières années et impulsée par le
président Lula, complète un long processus
dautonomisation de la région par rapport à la
super puissance.
Jetons un regard en arrière pour observer le
profond changement qui sest produit dans la région.
Depuis sa création en 1948, lOEA a répondu aux
intérêts de Washington. Quand Cuba en a été
expulsé en 1962, aucun pays na voté contre pour
éviter des problèmes avec les Etats-Unis, même si
six dentre eux se sont abstenus, parmi lesquels
lArgentine, le Brésil et le Mexique. En 1983, la
création du Groupe de Contadora (Colombie, Mexique, Panama, et
Venezuela) pour trouver une issue aux guerres civiles
dAmérique Centrale, représente la première
tentative pour doter la région dune voix qui se distancie
du cur imposé par la Maison Blanche et le Pentagone. […]
En 1990, le Groupe de Rio sest
substitué à celui de Contadora (convertit en groupe des
huit), avec lincorporation des pays sudaméricains
qui ne lintégraient pas jusqualors, plus la
communauté des Caraïbes et les pays dAmérique
Centrale. En 2008 il acquit sa physionomie actuelle avec
lincorporation de la Guyane, Haïti et Cuba, et en 2010 lors
de la célébration de sa
vingtetunième réunion, le sommet de
lUnité de la Rivera Maya, fut franchi le pas
définitif en donnant naissance à la nouvelle
Communauté des Etats. Ce sont deux décennies et demi
dune lente construction qui couronne un processus initié
quand loffensive impériale contre le Nicaragua, le
Salvador et le Guatemala paraissait omnipotente, qui aboutit, au moment
où une nouvelle conjoncture est apparue.
La Déclaration de Cancun, souscrite par 32
présidents (avec lunique absence du Honduras), signale
que lobjectif du nouvel organisme est
« lapprofondissement de lintégration
politique, économique, sociale et culturelle de notre
région » la défense du
« multilatéralisme » et
« la prise de position sur les grands thèmes et
événements de lagenda global ».
Lannexe consacrée à la crise
économique promeut la création dune nouvelle
architecture financière régionale et
sousrégionale, elle inclut la possibilité de
réaliser les paiements en monnaies nationales et évalue
la création dune monnaie commune ainsi que la
coopération entre banques de développement nationales et
régionales. […]
Energie et infrastructures
Cependant, les deux aspects centraux et les plus concrets,
signés par les présidents, sont les annexes
consacrées à
« lénergie » et à
« lintégration physique en
infrastructures ».
Il y est proposé daffronter les
défis énergétiques par la promotion et
lextension des sources dénergies renouvelables
et « lencouragement à
léchange des expériences et au transfert de
technologies sur les programmes nationaux de
biocombustibles », entre autre pour permettre aux
« économies plus petites et aux pays moins
développés daccéder de manière
juste, équilibrée et constante aux diverses formes
dénergies ».
En ce qui concerne les infrastructures, il est
proposé dintensifier les travaux pour la connexion et le
transport aérien, maritime, fluvial et terrestre, ainsi que pour
le transport multimodal. Qui dit intégration via les travaux
dinfrastructures et biocombustibles, dit Brésil, pays
leader dans ces deux domaines et premier producteur mondial
déthanol avec les EtatsUnis. […]
Même si la Communauté des Etats
Latino-américains et Caribéens nest, en
létat, quune déclaration
dintentions, qui devra faire ses véritables premiers pas
lors du sommet de Caracas (2011) et au Chili (2012) en se dotant de
statuts, le fait que cette démarche ait été
initiée est en soi tout à fait significatif. Sa
création doit être lue depuis trois angles.
Le primat du temps long
Dans un premier temps, elle représente un frein au
repositionnement des Etats-Unis en Colombie et au Panama avec 11 bases
militaires, mais également au Honduras et en Haïti.
Rappelonsnous que lors de lattaque Colombienne en
Equateur le premier mars 2008, avec le bombardement du campement de
Raul Reyes, la création de lUnion des Nations
Sud-Américaines (UNASUR) et du Conseil de Défense
SudAméricain sen était trouvée
accélérée. Le second aspect est à
appréhender sur le temps long : la Communauté des
Etats Latino-américains et Caribéens complète le
long cycle dautonomisation par rapport au centre
impérial. Ce nest pas un hasard si ces deux pas ont
été franchis dans des moments de graves tensions :
les guerres dAmérique Centrale, il y a 25 ans ; et
sur fond de crise économique et de polarisation mondiale
maintenant.
Le troisième aspect a un caractère
géopolitique. Le Mexique et lAmérique Centrale ne
seront plus, dès lors, tiraillés depuis le Nord
uniquement. Le bloc régional connaît beaucoup de
problèmes et de contradictions internes qui le feront avancer
lentement. Rien de tout cela ne la empêché de
prendre forme depuis le début des années 80 du
siècle passé, dans une situation où le poids et la
présence des USA étaient plus marqués
quaujourdhui, de sélargir, et maintenant de
commencer à se consolider. Le temps long accompli son
uvre ; lentement, mais inexorablement, il
pulvérise le temps court.
Traduction et coupes de notre rédaction