Une reconstruction pour les Haïtiens ?

Une reconstruction pour les Haïtiens ?



[…] A l’heure actuelle,
différentes stratégies sont proposées pour la
reconstruction d’Haïti. Pourtant, ces projets ne
reflètent pas les préoccupations et les besoins
réels de la population. […] Il en ressort un
décalage énorme entre ce que souhaitent les Haïtiens
et ce qui est mis sur pied notamment par la communauté
internationale.

La classe paysanne, moteur de l’économie haïtienne,
est tout simplement exclue bien qu’elle représente
près de 70 % de la population. Il y a une raison à
son exclusion des processus de décision et des choix
politico-économiques. […] Dès
l’indépendance, Haïti a été
forcée de produire non pas pour sa consommation interne,
c’est-à-dire pour la satisfaction des besoins de sa
population, mais pour exporter vers le marché mondial, en
particulier vers le marché de pays impérialistes, comme
les Etats-Unis, la France ou le Canada. Aujourd’hui, rien
n’a réellement changé. Les petits producteurs
haïtiens subissent la concurrence déloyale des produits
agricoles subventionnés des pays du Nord, Etats-Unis en
tête.[…] Aujourd’hui, le pays vit une
dépendance alimentaire insupportable puisqu’il est
obligé de mobiliser environ 70 % des ressources de ses
exportations pour l’importation de produits alimentaires.

Dépossession des paysans

Les nouvelles stratégies de reconstruction post-séisme se
cachent derrière une certaine idée de modernisation de
l’agriculture haïtienne, c’est-à-dire une
agriculture capitaliste productiviste avec des capitaux
étrangers et le remembrement des terres pour achever de bouter
les paysans hors de leur terre. Il en résulte une
dépossession des paysans qui n’auront d’autres choix
que de venir renforcer les rangs des ouvriers des zones franches du
secteur textile, dans la foulée des lois Hope I et II qui
encouragent l’investissement privé états-unien dans
ce secteur. Bien que Bill Clinton ait reconnu il y a peu le rôle
néfaste des politiques imposées par la communauté
internationale (comme la réduction des droits de douane de
50 % en 1980 à 3 % aujourd’hui), les plans
de reconstruction évitent soigneusement de mettre l’accent
sur l’agriculture paysanne. Cette dernière est mise de
côté au profit du développement des zones franches
du secteur textile et du tourisme, considérés tout deux
comme le meilleur moyen de développer le pays.

Surexploitation dans les zones franches

Ces zones franches sont clairement des zones de non-droit, où
les patrons peuvent à leur guise exploiter les
ouvriers.[…]. Construite sur des terres arables, seule la zone
franche de la Compagnie de développement industriel, à
Ouanaminthe, est en activité dans le pays pour l’instant.
Mais les projets d’en créer d’autres sont bien
réels. Pour la communauté internationale et le
gouvernement haïtien, les zones franches de sous-traitance
représentent l’avenir […]. Cette logique
opposée aux intérêts du peuple haïtien sert
ceux des multinationales étrangères qui trouvent en
Haïti une main-d’œuvre « très bon
marché », proche du marché
nord-américain. Ces ouvriers et ouvrières travaillent par
quotas. Ils sont payés à la tâche, donc leur
journée peut aller jusqu’à 12 h de travail, et cela
pour environ 580 gourdes par semaines (soit environ 5 dollars). De
plus, la zone n’est pas du tout adaptée pour accueillir
autant de nouveaux travailleurs et les habitations de fortune, sans eau
ni électricité, se multiplient aux alentours. Enfin, ces
ouvriers sont payés chaque semaine, si bien que dès
qu’ils reçoivent leur paie, ils doivent déjà
rembourser leur dette accumulée pendant la semaine, notamment
pour se nourrir le midi. En général, après les
dépenses vitales, il ne reste que 10 gourdes à chacun.
Autant dire qu’il est impossible d’avoir une vie
décente dans ces conditions.

La Minustah, force de répression

Il n’y a pas que les ouvriers et les paysans qui souffrent du
modèle économique imposé depuis des lustres. Les
étudiants, et notamment ceux de la Faculté des sciences
humaines, sont mobilisés pour faire prendre conscience des
inégalités criantes engendrées par le capitalisme.
Le secteur de l’éducation, notamment le secteur
universitaire public, a été dévasté par le
séisme du 12 janvier. Pourtant, ces étudiants sont
toujours debout et se battent pour qu’émerge un nouveau
modèle de société, où les besoins
réels de la population haïtienne sont pris en compte.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils subissent
une importante répression, notamment de la part de la Minustah,
force d’occupation de l’ONU aussi illégitime
qu’inefficace.

    L’enjeu de ce que l’on appelle à
tort « la reconstruction » n’est autre
pour les Haïtiens que de déconstruire l’ancien
système avant même de jeter les bases d’une logique
radicalement différente. Les luttes des mouvements sociaux
haïtiens convergent vers un nouvel Haïti,
débarrassé du modèle capitaliste
néolibéral à l’origine de
l’appauvrissement et de l’exclusion de la majeure partie
des Haïtiens. Malheureusement aujourd’hui, on ne peut pas
dire que les Haïtiens aient leur mot à dire. Aucune
consultation populaire n’a été effectuée,
contrairement à ce que réclament les mouvements sociaux
et les Haïtiens. Au lieu de cela, le gouvernement haïtien et
la communauté internationale préparent
l’approfondissement de la logique néolibérale tout
en légitimant une occupation militaire et humanitaire du pays.
Mais le peuple haïtien, bien que meurtri, n’est pas
prêt à se laisser faire. La souveraineté politique,
économique et alimentaire, mais aussi
l’égalité des chances et le droit à une vie
décente, ne sont pas que des slogans : ils sont des
revendications fortes, porteuses des combats à venir.

Sophie Perchellet
« Vice-présidente du CADTM France,
elle a effectué une mission à Haïti centrée
sur le thème de la reconstruction, du 17 mars au 1er avril
2010 ». Les intertitres et les coupures sont de la
rédaction
.