Financement du rail: usagers et cheminots passeront à la caisse

Financement du rail: usagers et cheminots passeront à la caisse

En Suisse, les transports routiers
sont responsables du tiers des émissions de gaz à effet
de serre. De ce point de vue, la lutte contre le réchauffement
climatique nécessiterait des mesures incitatives, propres
à favoriser un transfert de la route au rail. On en est loin.

Une étude du Département des transports et de
l’environnement (DETEC) prévoit une croissance du
transport de personnes par la route de 20 % d’ici 2030 et
de 35 % pour les marchandises ; ce dernier ayant
déjà connu une hausse de 136 % entre 1980 et 2008.
Autre fait symptomatique, le nombre de voitures privées pour
1000 habitants est passé en Suisse de 492 en 2000 à 520
en 2009 : une des densités les plus élevées
au monde. 55 % des kilomètres parcourus en Suisse se font
en voiture, contre 19 % pour les transports publics.

    La crise économique n’inversera pas la
tendance, le transport routier étant capable de compresser ses
coûts plus facilement et de tirer son épingle du jeu face
au rail : si le transit alpin par rail a reculé de
20 % entre 2008 et 2009, le transit routier lui n’a
reculé que de 14 %.

Usagers tondus

En matière de transport de personnes, le Conseil
fédéral ne semble pas décidé à
rendre le rail plus avantageux que la voiture pour les usagers :
le prix des billets augmentera en moyenne de 6,4 % à fin
2010 (dont 10 % d’augmentation pour l’abonnement
demi-tarif valable un an et 20 % pour deux ans). Cette hausse
devrait rapporter 150 millions de francs par année aux CFF. Par
ailleurs, les billets journaliers qu’il est possible
d’acheter à bas prix aux communes seront désormais
valables à partir de 9h du matin seulement. Quant à
l’idée avancée par Moritz Leuenberger de faire
payer les billets plus chers aux heures de pointe – ces
pendulaires n’ayant qu’à pas travailler aux
mêmes heures que tout le monde ! – elle devrait
être appliquée d’ici 3 à 5 ans. Enfin, un
relèvement temporaire de la TVA – impôt non
progressif, c’est-à-dire pénalisant les
salariés modestes – est évoqué pour le
financement des infrastructures ferroviaires (Le Temps, 23.3.10).

    C’est que les caisses des CFF sont vides.
Ceux-ci ont annoncé en février dernier qu’il leur
manquait 850 millions par année rien que pour l’entretien
du réseau actuel : « Si les retards
d’investissements ne sont pas comblés, le résultat
sera des interruptions d’exploitation, un abaissement de la
vitesse moyenne des train, des retards pour les clients »,
souligne ainsi le patron de la régie fédérale,
Andreas Meyer (Le Temps, 20.2.10). Un avertissement à prendre
d’autant plus au sérieux que ce dernier sait de quoi il
parle. Comme directeur des transports urbains à la Deutsche Bahn
entre 2004 et 2006, il a participé à la mise en
œuvre d’un plan d’économie sur
l’entretien du matériel qui a eu pour résultat
mirifique une paralysie presque complète du S-Bahn berlinois
entre août et décembre 2009.

    D’autre part, les CFF ont besoin de 60
milliards pour financer les investissements nécessaires au
développement du réseau d’ici 2050 (le trafic ayant
augmenté de 17 % depuis 2002). Une somme que le Conseil
fédéral, comme on l’a vu, est bien
décidé à faire assumer prioritairement aux
usagers. Non seulement, la Confédération n’est pas
prête à mettre l’argent nécessaire sur la
table, mais en plus elle poursuit une politique
d’austérité à l’égard du
rail : sur les 4,5 milliards de coupes budgétaires
annoncées par H.-R. Merz pour ces trois prochaines
années, un bon quart affecte les compagnies ferroviaires
régionales, dont 175 sur 1300 sont désormais
privées de subventions fédérales et ont comme
alternative de se tourner vers les cantons ou de fermer boutique.

Les salariés trinquent

Si les usagers passeront à la caisse, les employés CFF ne
seront pas épargnés non plus. Le coup d’envoi
d’une attaque contre les conditions de travail a
été donné en juillet 2009 lorsqu’Andreas
Meyer a menacé les cheminots de sanctions salariales en cas de
retard des trains. Les employés sont désormais
priés de faire mieux avec moins : 50 postes ont
été supprimés dans les gares de triage en
septembre 2009, suivi en janvier 2010 de 300 suppressions
d’emploi dans l’administration et la maintenance.
Accroître ainsi la charge de travail des employés est
d’autant plus facile que le principal syndicat du secteur, le
SEV, ne s’y oppose guère, choisissant
d’« accompagner » les restructurations
« de manière constructive mais à la fois
critique ». Une prise de position qui augure mal de son
attitude lors du renouvellement d’une convention collective
arrivant à échéance fin 2010. La direction des CFF
a d’ailleurs déjà annoncé la couleur en
refusant tout net la proposition de hausse de salaire de 0,6 %
demandée par les syndicats pour 2010 (Andreas Meyer, lui,
s’est généreusement octroyé 982 000
francs de revenu en 2009, soit une hausse de 10 % par rapport
à l’année précédente).

Alternative

Pourtant, une autre logique de financement serait possible qui
combinerait justice sociale et exigences écologiques. A titre
d’exemple, signalons que la suppression du droit de timbre,
impôt sur les transactions des actionnaires, prévue par
H.-R. Merz privera les caisses de la Confédération de 3
milliards de francs annuels. Une telle somme, si elle était
allouée aux compagnies ferroviaires – le subventionnement
des collectivités publiques au rail s’élevant
aujourd’hui à 2,8 milliards par an – permettrait
d’envisager une réduction massive du prix des billets, la
billetterie représentant précisément 3 milliards
de produits annuels pour l’ensemble des compagnies ferroviaires
suisses.

    Une initiative lancée par l’Association
transport et environnement (ATE) ayant déjà recueilli
plus de 150 mille signatures présente quant à elle le
mérite de poser le problème du financement en lien avec
le nécessaire transfert de la route au rail, même si ses
objectifs demeurent en dessous des enjeux : elle propose que la
taxe sur les carburants soit répartie à part égale
entre le financement de la route et celle du rail, contre 74 %
pour la route actuellement. Cela rapporterait 800 millions
supplémentaires par an aux CFF, hausse qui permettrait à
elle seule de financer plus de la moitié des dépenses
d’infrastructure nécessaires d’ici 2050. 

Hadrien Buclin