Critical Mass: un événement spontané qui défie l'autorité







Critical Mass: un événement
spontané qui défie l’autorité

Lancée en 92
à San Francisco, la Critical Mass est importée en
98. La régularité du rendez-vous à
vélo, tous les derniers vendredis du mois –
à 18 h au Pont des Bergues – a permis
à ce mouvement pour la
« mobilité douce »
de s’instaurer comme incontournable à
Genève.

«Au début, quand on était 200, on
était contents » dit Camille (1). En
2002, la police avait coincé le cortège sous le
passage de Montbrillant et menotté puis amendé de
nombreux manifestant∙e∙s. En réaction à cette
première répression, la Critic’ connut
une grande affluence d’environ 600 personnes.
Marius (2), un participant, nous explique que Facebook a
amplifié ce mouvement grâce à une plus
large propagation du rendez-vous. L’organisation reste
ouverte, l’événement peut
être relayé par tous. « Le
bouche à oreille fonctionne,
l’événement appartient à
tout le monde, chacun peut faire ses flyers et passer le
message » rappelle Camille.

Sentiment d’impunité

Les Critical Mass récentes ont vu la participation
croître. En mai, ce sont près de 1000 personnes
qui ont – spontanément ! –
convergé, pour créer
l’événement dans la joie et la bonne
humeur. Troublée par un incident fâcheux imputable
à la police.

    En effet, le cas
d’Antoine (2), dont nous publions ici le
témoignage, est plutôt isolé, son
niveau de violence n’a guère
été atteint par le passé. Un seul cas
d’une telle ampleur a été
signalé à l’OPP, nous rapporte Camille.
« Le travail de récolte de
témoignage est difficile, les victimes pensent que cela ne
sert à rien. Mais sans plaintes, tout laisse penser aux
autorités que rien ne se passe ». Or
l’attitude de la police dans ce cas illustre
mépris et sentiment d’impunité. Ils
s’expliquent par la passivité de la
hiérarchie, son refus de remettre en cause les pratiques des
agents et par la loi du silence à l’interne.
Camille voudrait que ça change :
« Il faut un autre système
d’enquête, car aujourd’hui ce sont
toujours des procédures internes. »

    Depuis 2003, les autorités
ont beaucoup durci le contrôle des manifestations,
renforcé la répression directe et
réduit les espace de liberté.
« Avant, une manif pouvait être
annoncée et autorisée ou
tolérée sur simple envoi d’un flyer
à la police » rappelle Camille.
« L’augmentation de la
répression contre le mouvement suit l’augmentation
de la participation » nous dit Marius.
« Pour la police, les cyclistes participants sont
des casseurs potentiels et désormais la Critic’ ne
sera plus tolérée. Pourtant, il semble dur de
mettre des bâtons dans les roues d’un
événement aussi populaire et
mobile » continue-t-il.

    Droits des manifestants la brochure de
l’Observatoire des Pratiques Policières est
disponible : www.opp-ge.ch

Maxime Clivaz &
Thibaut Lorin

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1    Membre de
l’Observatoire des Pratiques Policières (OPP)
2    Prénom d’emprunt

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Témoignage d’Antoine

Blessé à l’épaule,
choqué par la tournure des événements
et dégoûté par l’attitude
inhumaine de certaines personnes assermentées. Le
témoignage d’Antoine, participant à la
Critic’ du vendredi 28 mai :

« Alors que j’avance vers le boulevard
Georges-Favon, j’aperçois un policier en civil que
je signale aux autres participant∙e∙s. Il se dirige vers moi et me dit
de le suivre. Je refuse de lui obéir et me mets à
courir. Rapidement entouré par la police, je
m’arrête et lève les mains mais ils me
plaquent au sol, me frappent à terre et
m’insultent en me mettant les menottes bien
serrées. Ils me prennent par la gorge pour me soulever,
m’empêchant de respirer et
m’amènent dans un camion qui démarre.
Ils me fouillent, m’humilient par des commentaires
variés sur mon physique, puis trois coups, je sens mon
épaule se déchirer. Je leur demande de me
desserrer les menottes, on me dit de « fermer ma
grande gueule », serrant encore plus les menottes
et m’assénant un coup de botte au mollet.

    On arrive à la
Gravière. Ils me sortent, j’ai horriblement mal,
ils me bousculent, je crie, ils m’amènent dans un
couloir et me mettent à genoux, tête
baissée. Ils me fouillent, me déshabillent,
j’écarte les fesses, me rhabille
péniblement, une douleur aiguë dans
l’épaule. « On fait moins le
malin ? » me dit-on, je fais en effet
moins le malin, à poil dans un commissariat en train
d’être fouillé par les agents
m’ayant molesté.

    Dans ma cellule grillagée,
ressentant une douleur intense à mon épaule
gauche, je demande de la glace, qu’ils refusent de me donner.
Ils me transfèrent ailleurs et me font de nouveau
déshabiller. Avec une épaule gauche douloureuse
et inutilisable, je leur dis que je me suis déjà
fait fouiller, rien n’y fait. L’équipe
qui m’a interpellé vient me voir à
travers le hublot afin de m’humilier une dernière
fois, chacun y va de son petit commentaire.

    Les heures passent. Je demande de la
glace sans résultat. Je divague,
m’évanouis presque tellement j’ai mal. A
cet instant on choisit de m’interroger. Pas en
état de répondre, on m’interroge quand
même. Enfin, on me dit qu’un médecin a
été appelé. Il arrive,
m’ausculte, informe les gendarmes que je dois faire une
radiographie. On m’amène à
l’hôpital de la Tour. Constat
médical : clavicule fracturée en
plusieurs morceaux, je dois être soigné aux HUG.
Ils m’y amènent. Longue attente dans un lit,
escorté de 2 gendarmes, on m’informe que je dois
être opéré, ordonnance
d’antalgiques, anti-inflammatoires… Il est 9 h. du matin
lorsque je quitte l’hôpital.

    Retour à la
Gravière, je passe devant le commissaire, il me lit une
déclaration que je réfute. Je veux
qu’on sache que je n’ai pas atteint à
l’honneur du policier en civil et que je n’ai pas
opposé de résistance lors de mon interpellation.
On me transporte au Palais de justice. Je passe de longues heures en
cellule, puis devant le juge qui daigne me relaxer. Mon cauchemar est
fini pour le moment, car je serais convoqué
ultérieurement et il y aura des suites juridiques.

    Le policier en civil porte plainte
contre Antoine. Il justifie l’utilisation de la force par le
fait qu’Antoine se serait débattu et
l’aurait insulté, ceci couvert par les
témoignages de ses collègues, une fois de plus.