Interdire les licenciements antisyndicaux

Interdire les licenciements antisyndicaux



Le 18 septembre prochain, pour la
première fois de son histoire, le syndicat Unia organise une
rencontre nationale de ses militant·e·s à Olten.
Face à l’effritement de son implantation dans les
entreprises, le plus grand syndicat de Suisse reconnaît
l’urgence de renouer avec un fonctionnement militant. Une
occasion de revenir aussi sur la protection des
délégué·e·s syndicaux, question
cardinale s’il en est.

Le temps de la paix du travail et du partenariat social semblent
révolus. La crise économique et la volonté du
patronat de garantir ses bénéfices en s’en prenant
directement aux acquis des salarié·e·s s’en
sont chargés. La force des syndicats ne réside donc plus
dans le nombre de leurs fonctionnaires syndicaux. Cette première
rencontre nationale constitue, dans ce sens, sans doute un petit
tournant.

Protection légale des délégués : une mobilisation au point mort ?

Toutefois, de telles rencontres n’ont de sens que si elles
s’articulent à de larges campagnes visant à
renforcer la protection légale des
délégué·e·s syndicaux dans les
entreprises. L’annonce du licenciement de Marisa Pralong,
déléguée syndicale d’Unia chez Manor
Genève, a en partie eu cet effet. Une pétition,
signée par plus de 1 000
délégué·e·s, a été
remise aux autorités fédérales.

    Depuis, la campagne publique est au point mort dans
l’attente d’une révision prochaine du code des
obligations. L’attitude attentiste de l’Union syndicale
suisse est d’autant moins compréhensible que le
communiqué de presse du Département de justice et police
annonçant en décembre 2009, la prochaine mise en
consultation est on ne peut plus clair sur ses intentions :
« Cette réévaluation ne doit pas aboutir
à une remise en cause totale des fondements du droit du
licenciement, mais elle doit porter en premier lieu sur le montant de
l’indemnité. La nullité du licenciement gardera un
caractère exceptionnel. » Or c’est bien en
maintenant publiquement la pression que nous pourrons envisager enfin
une interdiction des licenciements antisyndicaux.

Deux jugements qui rappellent l’absence de droits

Cet été, la justice suisse a rendu deux jugements
très attendus sur les licenciements antisyndicaux
pratiqués, ces dernières années, par les patrons
dans notre pays.

    Le 19 juillet, le tribunal du travail de Zürich
a finalement qualifié d’abusif le renvoi de Daniel Suter,
délégué syndical au Tages Anzeiger, viré en
mai 2009, alors que l’entreprise procédait à une
vaste restructuration suite à sa fusion avec la Berner Zeitung.
Le tribunal a reconnu que le licenciement d’un·e
représentant·e du personnel lors d’une
restructuration prévoyant des suppressions de postes avait pour
conséquence d’affaiblir la représentation des
travailleur·euses et de les pénaliser dans leur droit de
négociation d’un plan social notamment.
    Certes, on doit se réjouir de
l’appréciation du tribunal zurichois, mais on ne peut que
s’offusquer du fait qu’il aura fallu plus d’une
année pour arriver à une telle conclusion.

    De plus, Tamedia, propriétaire du Tages
Anzeiger, n’a été condamné, en vertu du Code
des obligations, qu’au versement d’une indemnité
équivalant à trois mois de salaire. Autant dire
qu’à ce prix-là, une entreprise a tout avantage
à développer une politique ouvertement
antisyndicale !

    Quelques jours avant ce jugement, le 12 juillet
2010, le Tribunal fédéral rendait son arrêt dans
l’affaire du licenciement de Marisa Pralong. On se souvient que
la Chambre des relations collectives de travail avait, dans un premier
temps, ordonné à Manor de réintégrer la
déléguée syndicale avant de revenir sur sa
décision, estimant que le syndicat n’avait pas la
qualité pour agir en justice ; de son avis, en effet,
seule Marisa Pralong elle-même était lésée
par la décision de licenciement (cf. solidaritéS
n°165, 26 mars 2010). Le Tribunal fédéral a suivi
l’avis de la Chambre des relations collectives de travail en
rejetant le recours d’Unia.

Se battre pour ses droits

Les considérations du Tribunal fédéral en disent
d’ailleurs long sur l’appréciation des droits
syndicaux par la plus haute instance juridique du pays.

    En effet, aux yeux des juges, la demande de
réintégration d’un·e
délégué·e syndical ne peut avoir pour but
« de servir les intérêts de tous les
travailleurs de la profession. » Plus loin, les juges
précisent même : « On ne voit pas que
le licenciement de l’employée serait susceptible de porter
atteinte aux droits de la personnalité des travailleurs de la
profession concernée. »

    Comme si le licenciement de Marisa Pralong
n’avait pas servi à faire régner un climat de peur
auprès des employé·e·s de Manor, à
les décourager de défendre leurs droits en
adhérant à Unia. Comme si un
délégué·e syndical ne se préoccupait
que de ses intérêts propres et ne représentait pas
l’ensemble de ses collègues dans les négociations.
Aux yeux des juges du Tribunal fédéral, un syndicat ne
semble pas servir l’intérêt de tous les
travailleur·euses, il s’apparenterait plutôt
à un club défendant les intérêts exclusifs
de ses membres…

    Les deux jugements rendus cet été
doivent à présent servir de matériel de campagne
pour faire pression sur le Conseil fédéral afin de
promouvoir un changement radical du cadre légal.
L’interdiction des licenciements antisyndicaux doit enfin devenir
la règle et l’Union syndicale suisse devrait
concrètement s’y atteler (par le biais notamment de
l’OIT). C’est en tous les cas la voie que sont
invités à suivre les
délégué·e·s au prochain
Congrès de l’USS qui aura lieu cet automne. 

Joël Varone
« Secrétaire syndical Unia »