Vous avez dit insécurité ? Si on parlait des vrais problèmes

Vous avez dit insécurité ? Si on parlait des vrais problèmes

C’est bien connu à force d’être
répété : l’insécurité
commence par de petites choses. Ce sont les ados mal
élevés qui vocifèrent dans les transports publics,
le mendiant (rom évidemment) qui insiste pour obtenir sa
pièce, les escrocs au bonneteau qui grugent le passant
naïf, les dealers au coin de la rue, les voleurs à la tire,
les petits délinquants multirécidivistes
(étrangers bien sûr). Ainsi va l’amalgame
médiatique.

    Même si les crimes de sang et les agressions
graves sont en recul constant, cette insécurité-là
semble déranger de plus en plus. Pourquoi ? Parce
qu’elle rappelle à chaque instant que nous vivons dans un
monde toujours plus dur, où « le maillon
faible » est impitoyablement exclu. En effet, la
compétition et l’individualisme forcenés brisent
une à une les solidarités pour lesquelles les
générations précédentes se sont battues.

    L’insécurité est aussi la
rançon de la misère qui monte, avec le chômage de
longue durée, les bas salaires et les statuts précaires,
en particulier pour les jeunes qui n’ont jamais connu autre
chose. Si elle est de plus en plus visible dans les lieux publics, ce
n’est que la pointe de l’iceberg : surtout
cachée, elle concerne déjà plusieurs centaines de
milliers de foyers en Suisse. Elle pourrait nous toucher demain, et si
ce n’est nous, nos enfants, nos proches, nos amis.

    L’insécurité progresse aussi
parce que l’Etat démantèle la protection des
salariés (en emploi et au chômage), des retraités,
des handicapés et des malades, des locataires et des usagers de
l’aide sociale, femmes et hommes. Dans de telles conditions, les
licenciements, les baisses des rentes, les hausses des primes maladie,
le resserrement de l’AI, le démantèlement des
droits des locataires peuvent menacer chacun·e du pire.

Pourtant, si l’insécurité touche de plus en plus de
monde, elle ne concerne pas tout le monde, loin s’en faut. Tandis
que les revenus du travail diminuent, ceux du capital augmentent. Les
propriétaires d’immeubles, les gros actionnaires et les
banquiers continuent à faire de bonnes affaires. Cette petite
minorité ne cesse en effet d’aménager
l’économie, la société et l’Etat dans
le seul but d’accroître ses privilèges. Et
lorsqu’elle traverse une passe délicate, les
autorités volent à son secours : il y a deux ans,
La Confédération n’a-t-elle pas trouvé 73
milliards à prêter à l’UBS à fonds
perdus.

Pour certains cependant, la dénonciation de
l’insécurité est devenue une véritable
industrie. La droite et l’extrême droite y investissent de
gros moyens publicitaires. Et ça marche : les
médias ne parlent (presque) plus que de ça. En
réalité, pendant qu’ils soutiennent d’une
main les attaques aux droits des salarié-e-s, des
retraité·e·s, des usager·e·s des
assurances sociales et des services publics, contribuant à la
précarité du plus grand nombre, ils crient
« au voleur ! » en pointant du doigt
les petits délinquants pour faire diversion.

    Leurs réponses sont évidemment
simples, trop simples : augmenter les effectifs de la police,
les capacités des prisons, la rigueur des peines ; doter
les gendarmes de tasers, créer des centres d’internement
administratif et expulser les délinquant·e·s
étrangers ; multiplier les gesticulations pour
« montrer qu’on est là ». Cela
ne changera rien à l’insécurité quotidienne.
Les Etats-Unis en ont fait l’expérience : les
effectifs de prisonniers sont dix fois supérieurs aux
nôtres, la criminalité aussi !

    Les mêmes qui ont poussé – et
poussent toujours – l’Etat à démissionner de
ses tâches sociales prétendent
« nettoyer » le pays de la petite
délinquance. Mais de qui se moque-t-on ? La
sécurité n’a-t-elle pas crû dans les
décennies d’après-guerre, avec les assurances
sociales et les services publics, suscitant de multiples
solidarités et un sentiment d’appartenance au sein de la
population. Pendant ces années-là, ce sont les emplois,
les salaires, les retraites, les écoles, les lits
d’hôpitaux qui ont augmenté, non les prisons, les
centres d’internement, l’armement de la police, les
expulsions.

    C’est parce que nous prenons au sérieux
l’insécurité qui se développe
aujourd’hui et que nous voulons lutter contre ses causes, que
nous refusons le traitement de surface proposé par la droite et
l’extrême droite, qui ne vise qu’à
détourner l’attention des vrais problèmes et menace
de surcroît nos libertés.

    C’est pourquoi, nous revendiquons un salaire
minimum plancher de 4000 Frs, indéxé, inscrit dans la loi
(majoré dans les cantons où le coût de la vie est
supérieur à la moyenne) ; des conventions
collectives de travail (CCT) ayant force obligatoire et fixant
notamment les salaires usuels minimaux au niveau des branches, des
professions et des entreprises ; et une véritable
assurance chômage qui permette aux demandeurs d’emploi de
résister à la déqualification et aux baisses de
salaires.

    Nous défendons aussi la fusion de l’AVS
et des caisses de pension dans un système de retraite populaire,
fondé principalement (et de plus en plus) sur la
répartition, protégé des aléas de la
bourse, et qui garantisse à chacun·e une rente permettant
de vivre convenablement tout en conservant ses droits acquis (cf.
solidaritéS n° 136, 30 oct. 2008) ! Nous sommes aussi
favorables au développement d’un système de
sécurité sociale solidaire, qui intègre
l’assurance maladie et les assurances perte de gain liées
à la maladie, aux accidents et à
l’invalidité.

Jean Batou