Chine: un printemps ouvrier au cœur de « l’atelier du monde »
Chine: un printemps ouvrier au cur de « latelier du monde »
Une série de conflits et de
grèves ont affecté un nombre important dusines
manufacturières en Chine depuis les mois de mai et juin 2010.
Ces conflits pourraient bien être révélateurs de
changements sensibles.
La vague de grève a débuté à lusine
Honda Foshan. Malgré le licenciement des dirigeants
grévistes et les tentatives de divisions de la direction, les
ouvriers de Honda sont restés unis pendant les deux semaines
qua duré le conflit. Dans cette usine, 80 % des
travailleurs sont des étudiants décoles techniques
soumis à un contrat de travail
« maison ». Ils ne sont pas
protégés par les lois du travail en vigueur et leur
salaire est très nettement inférieur à celui des
ouvriers réguliers. […]
Au même moment, la vague de suicides à
lusine taïwanaise Foxconn, géant de
lélectronique qui fournit des composants à Dell,
Apple et Hewlett Packard, a mis en lumière les épreuves
que subissent les travailleurs dans ces usines organisées comme
des prisons.
Fait sans précédent, les jeunes
employés de Honda se sont mobilisés non pas pour obtenir
le paiement des salaires où lapplication de leurs droits,
comme cest en général le cas dans les conflits
ouvriers en Chine, mais pour obtenir une réelle augmentation des
salaires. […] Cette grève a forcé Honda à
arrêter la production dans tout le pays pendant plusieurs jours
du fait de la pénurie de pièces détachées
occasionnée par le conflit. La direction de Honda a dû
négocier avec les représentants désignés
par les grévistes et accepter des augmentations significatives
de salaire ainsi que lamélioration des conditions de
travail.
La victoire des ouvriers de Honda Foshan a
été un formidable exemple de combativité
ouvrière. Dans la foulée, des filiales de Honda, Toyota,
Mitsumi Electric, Nippon Sheet Glass, Atsumitec et bien dautres
ont été touchées par des conflits ouvriers et ont
été obligées de concéder des augmentations
de salaire, principale revendication des différents conflits. La
presse rapporte même que certaines entreprises et même des
autorités provinciales nont pas attendu
déventuels conflits pour augmenter les salaires de leurs
employés ! […]
Atelier du monde versus supermarché
Du côté des autorités, ces hausses de salaire sont
bienvenues, et ce, pour deux raisons. Tout dabord, le
gouvernement souhaiterait une relance de la consommation interne pour
compenser le ralentissement des exportations. De plus, les
augmentations de salaire sont aussi synonymes
damélioration des conditions de vie, une donnée
non négligeable pour le maintien de la stabilité
politique.
Les luttes ouvrières de ces derniers mois se
sont développées dans des usines de compagnies
étrangères, principalement japonaises. Du pain
béni pour le gouvernement qui a laissé faire, autorisant
même les médias locaux à en rendre compte. Cela lui
a permis de laisser croire que les entreprises étrangères
sont responsables de la colère ouvrière tout en
renforçant les sentiments nationalistes. […]
Des droits ouvriers renforcés
Le regain de combativité ouvrière, renforcé par
les victoires des luttes printanières, est sans doute aussi
alimenté par la nouvelle législation du travail.
Introduite le 1er janvier 2008, la Loi sur les contrats de travail de
la République Populaire de Chine [vise à] limiter les
abus des employeurs dont sont victimes les employés comme les
licenciements abusifs et le non-paiement des salaires. Le gouvernement
souhaiterait éliminer un motif récurrent de luttes
ouvrières dont la dynamique politique peut toujours
savérer dangereuse pour lui […] Avec la diminution de
la force de travail dans les zones côtières et le
vieillissement de la population, ainsi que laugmentation de la
qualification des travailleurs, les autorités et les entreprises
ont besoin de stabiliser une force de travail dont les demandes se font
par ailleurs plus exigeantes.
Ce sont les jeunes migrants qui ont le plus
bénéficié de la nouvelle loi, sans doute parce
quils ont accès à plus dinformations par le
biais dInternet. Les retrouver dans les luttes qui ont
affecté les entreprises japonaises nest pas surprenant.
Ces jeunes sont mieux éduqués et sont affectés
à des emplois plus qualifiés qui demandent de plus
grandes compétences. Un monde les sépare de leurs parents
restés à la campagne. Ces jeunes ouvriers, tous enfants
uniques, aspirent à une vie décente dans les grands
centres urbains quil leur est impossible datteindre avec
leurs salaires de misère. Cest pourquoi les victoires
ouvrières de ces derniers mois auront sans doute des
conséquences importantes sur la situation sociale. […]
La multiplication des conflits sest
concentrée sur le terrain économique, mais les
autorités restent attentives à ce que cela ne se
transforme pas en une contestation politique
généralisée. Lexpérience des
grèves dans les usines Honda montre quil sera plus
difficile à lavenir pour le gouvernement de
contrôler les luttes par le biais de lunique centrale
syndicale largement discréditée. Les nouvelles
générations douvriers ont montré
quelles sont prêtes à sorganiser
collectivement et à revendiquer une réelle part des
fruits de la croissance. La classe ouvrière chinoise nest
en rien docile, elle a su montrer sa force et sa combativité.
Il est aussi remarquable de noter quau
Bangladesh, au Viet Nam et au Cambodge des luttes similaires pour
laugmentation des salaires se sont développées ces
derniers mois. La misère nest donc pas une
fatalité.
Danielle Sabai
Coupures de la rédaction.
Larticle complet, avec les notes de référence, se trouve sur le blog de lauteur : http://daniellesabai.wordpress.com