Pénurie d’espaces pour la culture en lutte : Rémy Pagani répond
Pénurie despaces pour la culture en lutte : Rémy Pagani répond
Suite au mouvement de protestation
lancé par lUsine et les milieux culturels alternatifs, et
en guise de réponse à linterview dAlbane
Schlechten parue dans notre précédent numéro
(solidaritéS n°177), nous avons sollicité la
réaction de notre camarade Rémy Pagani, magistrat en
charge de laménagement et des constructions.
NB. La version
de cet interview publiée dans lédition papier du
journal solidaritéS n°178 contient plusieurs erreurs.
Cest donc cette version en ligne qui fait foi.
Ces dernières semaines, des miliers de jeunes sont descendus
dans les rues pour revendiquer des espaces de vie nocturne. De quel
il vois-tu ce mouvement ?
Rémy Pagani : Je
lai toujours vu de manière favorable, contrairement
à dautres. Cette grève a permis de mettre en
lumière des intérêts que jai toujours
soutenus : cest à dire davoir des salles
à disposition où les intérêts mercantiles ne
prédominent pas.
Pourtant depuis léradication des squats, la
pénurie est criante et certains milieux taccusent
dinaction
Je suis à lorigine des débuts de Rhino puisque
jai contribué à ouvrir ce squat, et jai
été évidemment scandalisé quil soit
fermé. Il y a eu ces dernières années une
conjonction très forte entre la droite du canton et le procureur
Zappelli pour éradiquer tous ces lieux collectifs. Les squats,
en mettant en évidence le haut de liceberg, permettaient
de dénoncer ce que jai toujours combattu, à savoir
la spéculation immobilière et foncière qui
règne depuis longtemps en Ville de Genève.
Pour ce qui est du relogement des activités culturelles, avec
mon collègue Patrice Mugny, nous avons défendu le fait
que la Cave 12 (à lorigine à Rhino, ndlr) soit
relogée à la rue de la Prairie. Nous avons défendu
le projet en assemblée de quartier pour désamorcer les
réticences des habitants qui voulaient lancer un
référendum. Pour ce qui est dArtamis, au moment
où nous avons lancé le processus de dépollution,
jai été le seul à me battre pour que la
Ville reloge les occupants du site, même si la position du
Conseil Administratif à lépoque était de
dire que les occupants « en ont bien assez profité
pendant 12 ans ». Jai du my reprendre à
deux fois pour imposer le relogement au Vélodrome pour les
artistes (1500m2) et les 500 m2 pour ceux qui sont restés sur le
site (Database). Pour le théâtre du Galpon, je me suis
battu deux ans pour faire accepter lidée quil
était possible de désosser lune des halles
dArtamis pour la déplacer sur un parking au quai des
Péniches, ce qui est en passe dêtre
finalisé ! Pour le Piment Rouge, même si ma
première proposition a échoué nous allons trouver
une solution dans les réservoirs du Bois de la Bâtie en
travaillant avec lUECA.
Justement, peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
Ces citernes du Bois de la Bâtie sont des espaces énormes,
il y a plus de 1600m2, loin des habitations, dans un cadre bucolique,
mais encore dans la ville. Nous projetons dinstaller un escalier
depuis le quai des Péniches jusquen haut du Bois de la
Bâtie et jai même déposé un
crédit de réalisation pour installer un ascenseur.
Cest un lieu idéal pour les activités nocturnes,
car on ny dérangerait personne, et le tram passera
à proximité. Depuis labandon du projet de
récupération de chaleur initialement projeté par
le centre funéraire, il est possible dy créer 2
salles de 500 places !
Que dis-tu du projet de salle sous le futur Ecoquartier Jonction défendu par lUECA ?
Jai lu leur dossier et cest un très bon projet, et
je suis favorable à ce quil y ait une salle sous cet
ancien site dArtamis. Jai proposé au Conseil
Municipal de voter 450’000.- pour étudier
lidée, et jai dailleurs insisté pour
que lon rajoute la mention « destiné à
des associations sans but lucratif ». Mais il y a une
divergence concernant les horaires douverture tardifs
(jusquà 5h du matin) pour les soirées DJ. Il
faudra faire cohabiter ce lieu avec 1000 habitants qui, contrairement
à beaucoup des voisins de lUsine ne seront pas venus
sinstaller après coup. Jai fait beaucoup
dactivités nocturnes et je sais dexpérience
que les gens qui sortent dune soirée à 5h du
mat ont tendance à hurler. Il y aussi le problème
des allées et venues dues notamment à la cigarette. On
aura beau isoler la salle parfaitement, ces problèmes resteront
entiers. Je renvoie ceux qui font cette demande à leurs
responsabilités : comment justifier dinvestir 4
à 5 millions pour un lieu qui risque ensuite de fermer comme
cela a dû être fait pour la salle sous Uni-Mail, le
Jackfil, suite à des plaintes de voisins ? Si nous
chargeons trop la barque, il peut aussi y avoir un
référendum qui fasse tout capoter. Il serait dommage de
risquer que cette structure nexiste pas du tout.
Il y a pourtant en ville de nombreux clubs commerciaux qui ferment tard, créent des nuisances et restent ouverts
Malheureusement, on ne peut pas comparer. Les salles
« associatives » sont plus étroitement
liées aux autorités et donc bien plus fragiles au regard
des plaintes des voisins que les clubs tenus par des
propriétaires privés
Dans le premier cas, il
suffit de faire pression sur les autorités, pour les clubs, il
faut intervenir auprès du propriétaire et du
commerçant, avec des démarches juridiques
Les
voisins sont dailleurs bizarrement plus tolérants avec
les clubs privés quavec les lieux soutenus par la
collectivité.
Penses-tu que la demande despaces de vie nocturne est inconciliable avec le besoin de calme des habitants ?
Je pense que si lon cherche vraiment des espaces
éloignés des habitations, on peut en trouver. À un
moment donné, les deux sont incompatibles quand il y a des
soirées de minuit à 5h du matin
Par contre, je ne
suis pas daccord que cela se fasse au détriment de la
zone industrielle, car cela signifie enlever des surfaces à des
PME, qui sont aujourdhui les seules à créer des
emplois. Il faut aussi regarder du côté dendroits
comme le Palladium : cest une salle qui na jamais
posé de problème aux voisins et qui est notoirement
sous-exploitée. Je trouve très criticable la position de
la Ville de refuser daffecter ce lieu à une association
qui lexploiterait mieux en attendant dêtre
définitivement relogée. Mais je suis entrain de
rencontrer toutes les associations concernées et tout ceci va
saffiner, il faut quon réfléchisse ensemble
et on trouvera des solutions, y compris pour les problèmes de
cohabitation.
Propos recueillis par Thibault Schneeberger