Amérique latine: privatisation et résistance
Amérique latine: privatisation et résistance
L´Amérique latine semble être la région par excellence de la résistance aux privatisations de l´approvisionnement en eau. Après le mouvement de refus de paiement, à une filiale de Vivendi, des factures de l´eau à Tucuman, en Argentine (en 1997: les tarifs avaient doublé, mais la qualité avait diminué), c´est la troisième vile de Bolivie, Cochabamba, qui depuis 1999 se bat contre un projet de privatisation du captage et de la distribution de l´eau.
Tout a commencé en 1994, lorsque, constatant qu´un tiers des habitants de Cochabamba (environ 400 000 habitants) ne bénéficiaient pas d´accès à l´eau potable, la très philanthropique Banque Mondiale a proposé une politique de privatisation de la société municipale de distribution, la SEMAPA. Pour la Banque Mondiale, il faut parvenir à la couverture complète des coûts («full cost recovery»), c´est-à-dire à la prise en charge totale des coûts de l´approvisionnement par le consommateur final. De plus les nouveaux prix devaient ausi financer les investissements futurs, nouveaux projets d´acheminement compris.
La Municipalité et le gouvernement bolivien ont donc, sans surprise, suivi les injonctions de la Banque Mondiale. Une seule entreprise a répondu à l´appel d´offres, Aguas del Tunari. Malgré cette légère entorse aux conditions de la concurrence parfaite, le consortium Aguas del Tunari a logiquement enlevé le marché. Propriété à 50% de l´entreprise américaine International Water Limited (Bechtel, USA et Edison, Italie) et à 25% de l´espagnole Abengoa, le groupe s´est empressé de doubler les tarifs et d´envoyer des factures.. y compris aux personnes qui n´avaient pas accès à l´eau! Cette explosion des tarifs aurait impliqué que les familles consacrent un quart ou un tiers de leur revenu à l´achat d´eau potable. Dans le même temps, le gouvernement bolivien promulguait une loi sur le service d´eau potable qui confiait le monopole de l´approvisionnement en eau à toute entreprise privée concessionnaire dans une région donnée.
Pour la région de Cochabamba, cela signifiait que non seulement la population urbaine, mais aussi les coopératives paysannes et le système associatif traditionnel de gestion de l´irrigation (les regantes) étaient touchés par ces mesures. Le conflit s´est dès lors étendu aux campagnes environnantes, débouchant sur la création d´une organisation, la Coordinadora en defensa del agua y de la vida, chargée d´éviter la transformation de l´eau en marchandise et la disparition des modes d´usage traditionnels de l´eau dans les campagnes. Mouvement large et horizontal, la coordination a réussi une forte mobilisation autour de ses objectifs, en lançant deux vagues de protestation en janvier et février 2000. Le gouvernement ayant promis de revoir sa politique mais sans rien faire dans ce sens, la coordination a mis sur pied en avril de la même année des manifestations et des blocages de rue. L´état de siège, puis l´intervention de l´armée ont provoqué huit jours de combats violents (un mort, des centaines de blessés). Malgré cette répression, «on a vécu huits jours de démocratie populaire» selon Oscar Olivera, l´un des dirigeants de la Coordinadora. Finalement forcé de reculer, le gouvernement bolivien a dû revoir sa copie et Aguas del Tunari a renoncé, provisoirement du moins, à son projet.
Cette victoire du mouvement social sur les privatiseurs est évidemment restée en travers de la gorge du gouvernement, de la Banque Mondiale et du FMI. Leur stratégie a donc changé, tout en poursuivant le même objectif. Le gouvernement exige le remboursement rapide de la dette de la SEMAPA (plusieurs dizaines de millions de dollars), ce que celle-ci est évidemment incapable de faire. Une nouvelle série de manifestations ont amené une réduction de la dette et un allongement des délais de remboursement. Une campagne médiatique s´en est prise aux erreurs de gestion de la part de responsables de la coordination. De son côté, Aguas del Tunari réclame 25 millions de dollars d´indemnisation. L´ensemble vise à étoufer le mouvement social et à étrangler financièrement le projet de la population de mise en place d´un service d´eau accessible à tout le monde, à des prix raisonnables et avec un contrôle social sur l´entreprise municipale SEMAPA.
ds
(Sources: Conférence de Manuel de la Fuente, prononcée le 22.4.02 à l´occasion du Festival de l´eau du Val-de-Marne; Le Courrier des 18.8.2001 et 2.9.2002)