De magnat de lamiante à gourou de lenvironnement
De magnat de lamiante à gourou de lenvironnement
Qua-t-il fait Stephan Schmidheiny, ancien propriétaire unique dETERNIT, avec les milliards que lui a rapporté la vente de ses activités liées à la production de ciment-amiante au début des années 1980 ? Entre 1984 et 1999 la valeur de son patrimoine a doublé pour passer de 2 à 4 milliards de US$.
Une partie de cette richesse il la réinvestie dans le secteur forestier en Amérique Latine. Selon des données récentes suisses, Stephan Schmidheiny a commencé à acheter des aires forestières chiliennes en 1982 et actuellement il possède plus de 120000 hectares dans le sud du Chili, près de Concepción, terre que les indiens Mapuche revendiquent comme leur depuis des temps immémoriaux. Les Mapuche accusent Schmidheiny davoir acheté une grande partie des terres dont ils avaient été expropriés avec les pratiques dintimidation, torture et assassinat usuelles durant la dictature de Pinochet. Les propriétés chiliennes de Schmidheiny, contrôlées par Terra Nova, filiale chilienne de Nueva, son holding Suisse, font de lui le troisième plus grand propriétaire forestier du Chili. Nueva contrôle aussi une douzaine de compagnies en Amérique Latine qui emploient quelques 10000 travailleurs dans la productions de conduites, matériel de construction et dans la reforestation et lexploitation de nombreuses espèces de bois. Les activités de Terra Nova sont si controversées que Huilcamans, Président du Conseil de toutes les terres Mapuche, sest rendu en Suisse en 1999 avec deux des ses conseillers dans le but de tenter de convaincre Schmidheiny en personne de renoncer à certaines de ses activités qui constituent les injustices les plus flagrantes envers le peuple Mapuche. Selon une information publiée en Suisse, Schmidheiny refusa de parler avec les envoyés Mapuche les renvoyant à Hans-Ulrich Spiess un représentant suisse de Terra Nova. Ce dernier qualifia les accusations d«absurdes». Selon Spiess Terra Nova possède un «titre légal» fondé sur la procédure légale chilienne et il a affirmé que «si lon remonte assez loin dans le temps, on trouvera toujours quelquun dautre à qui cette terre appartenait dans le passé».
Intérêt «philanthropique»?
Schmidheiny na jamais critiqué publiquement le régime de Pinochet, mais il a été rapporté que durant une conférence publique il aurait affirmé que «un pays du tiers monde qui opte pour une économie de marché libérale doit avoir un gouvernement fort».
Schmidheiny utilise son intérêt «philanthropique» pour lAmérique Latine afin de donner limpression quil a inventé un nouveau paradigme environnemental fondé sur le slogan «écoefficience» stimulé par les représentants de la «société civile». Selon lui, le progrès sinstaure quand «la société civile ...[cest-à-dire] des millions dhommes et de femmes en dehors des gouvernements» à travers l«accès» au «know-how managérial» et à «la capacité de mobiliser des fonds» sont capables de transformer leur pays, manière indirecte de défendre la «régulation non gouvernementale du commerce».
Certainement l «écoefficience» de Schmidheiny et le paradigme de la «société civile» ne semblent pas inclure le devoir dinformer les employés des usines damiante-ciment que leur travail va les tuer, ou quETERNIT a le devoir moral et légal dindemniser ceux dont la vie a été suffoquée par lexposition à lamiante. Apparemment le vieux paradigme «privatiser les profits/socialiser les pertes» est nettement plus fort que le nouveau «écoefficience/société civile» pour les victimes des entreprises des 35 pays de lempire ETERNIT. Schmidheiny doit se souvenir de certaines dentre elles quil a rencontré durant sont travail dapprenti contremaître dans la plus grande usine ETERNIT du Brésil à Osasco dans lEtat de Sao Paulo, durant le début des années 1970. A sa décharge nous pouvons dire que Schmidheiny sest informé personnellement des problèmes de santé liés à lamiante à la fin des années 1970 et chargea ses chercheurs de développer des méthodes de production des panneau des tuiles en fibre-ciment avec des fibres végétales particulièrement dans lusine ETERNIT de Costa Rica Ricalit. Mais pour une série de problèmes, y compris lopposition des associés locaux, cette stratégie de substitution des fibres damiante ne se réalisa que très lentement dans de nombreux sites et finalement dès 1990 Schmidheiny vendit toutes ses usines de fibre-ciment.
Ecoefficience
En vendant ses propriétés suisses et en se transformant en banquier et spéculateur, Schmidheiny a réussi à sintégrer dans les plus hautes sphères de la société étasuniennes en tant quentrepreneur et philosophe environnemental. En 1992 il publia «Changing course: A global business perspective on development and the environment» titre que lon pourrait traduire par: «Changer de cap: une perspective commerciale mondiale sur le développement et lenvironnement». Dans ce livre il défend lidée quun développement capitaliste rationnel – fondé sur son concept d«écoefficience» – constitue la solution à long terme contre la destruction de lenvironnement et contre la baisse des profits. Ainsi il a investi son argent et son influence dans la création et le financement du Business Council for Sustainable Development (BCSD), qui a donné le ton de la participation du monde de lindustrie et de la finance à la Conférence des nations unies pour lenvironnement et le développement de Rio de Janeiro en 1992 . Une question à laquelle son analyse ne donne pas de réponse est de savoir que faire quand les entreprises refusent une pratique «écoefficiente», ce qui semble être laissé au libre choix individuel des compagnies.
Schmidheiny est également membre du conseil dadministration du Musée dart moderne de New York et il a été un membre actif du Centre de Yale pour la loi et la politique environnementales de la Yale Law School (luniversité de Bill et Hillary Clinton). En 1996, il a reçu le titre de docteur honoris causa de Yale. A cette occasion un communiqué de lUniversité de Yale le décrit comme le principal conseiller pour le commerce et lindustrie à la Conférence des Nations Unies pour lenvironnement et le développement (Conférence de Rio) de 1992.
Malades et mourants abandonnés
Dans lhémisphère occidental on entendra probablement parler encore plus de Stephan Schmidheiny dans la prochaine décennie, puisque comme le disait FORBES en 1997, il a déplacé son argent dEurope vers les USA et lAmérique latine. «LAmérique est plus jeune et plus dynamique» dit-il, alors que «lEurope, malgré lUnion Européenne, est sur la défensive et vieillit».
En réalité Stephan Schmidheiny a décidé de prendre son argent et fuir le désastre imminent de lamiante lié à ETERNIT et le réinvestir dans des projets éditoriaux, intellectuels, universitaires et «philanthropiques » un peu partout dans le monde tout en laissant les ouvriers malades et mourants à leur propre destin. Dans les années 90 il se propulsa sur la scène mondiale comme penseur environnemental et bienfaiteur, son rôle a été sanctifié par des institutions d«études supérieures» comme lUniversité de Yale. (On ne sait toujours pas si la contribution de Schmidheiny aux efforts en faveur de lenvironnement de lUniversité de Yale provient des fonds quil contrôle ou de sa fortune personnelle). LUniversité de Yale proclama Stephan Schmidheiny docteur honoris causa dans les termes suivants: «Pas satisfait dêtre le gestionnaire de lentreprise familiale, vous avez utilisé de votre rôle dentrepreneur afin de promouvoir la bonne gestionen faveur de lenvironnement mondial. Vous avez fondé vos décisions économiques sur la santé de la planète, en introduisant de nouvelles technologies et des méthodes commerciales soucieuses de lenvironnement. En apportant votre message aux principaux industriels du monde entier, vous avez contribué à rendre possible une vision de léconomie globale fondée sur un développement soutenable, écologiquement sain ». Au moins jusquà ce que le concept de «bonne gestion» nimplique pas une acceptation franche et publique des responsabilités morales et financières face aux souffrances et aux morts causés par la production et la vente des produits à base damiante dETERNIT de par le monde comme ont été obligés de le faire les compagnies américaines de lamiante, telles que Johns-Manville et Raybestos-Manhattan. Pendant ce temps, à Osasco, un groupe de travailleurs de lancienne usine ETERNIT dOsasco, conduits par linspectrice du travail Fernanda Giannasi, ont fondé lAssociation Brésilienne des Exposés à lAmiante (ABREA) afin de lutter pour une juste compensation, pour des soins médicaux, pour interdire lamiante et pour la justice dans ce que Fernanda Giannasi appelle la «guerre invisible»contre les travailleurs.
Seul Stephan Schmidheiny, bien en sécurité dans son château au bord du lac, pourrait nous dire si les fantômes des anciens travailleurs hantent ses rêves de leurs cris demandant justice.
Daniel M. Berman et Adrian Knoepfli
Traduit par le Comité daide
aux ouvriers victimes de lamiante
(CAOVA) Suisse
Parier sur les fonds de pension
En 1997 Stephan Schmidheiny acheta Landis & Gyr, une entreprise familiale leader mondiale des contrôles automatiques pour les bâtiments. En huit ans il a supprimé 3000 emplois et, en 1994, le fond de pension de Landis & Gyr a perdu 300 millions de US$ dans des spéculations sur les marché boursiers. Les travailleurs et les syndicats ont accusé Schmidheiny davoir agi en pleine connaissance des risques quil prenait dans la gestion des fonds de prévoyance des travailleurs et quil avait pris la décision «immorale» de retenir la participation patronale au fond.