Qui joue contre l’euro ?
Qui joue contre leuro ?
Qui se cache derrière cette
expression passe-partout de « marchés
financiers » ? Il serait intéressant de
le savoir au moment où ceux-ci exercent une terrible pression
sur les gouvernements européens à travers les conditions
de financement de la dette publique.
Cest la question que deux économistes de banque ont
cherché à éclairer à partir dun
travail de recoupement des sources, quils qualifient
eux-mêmes de « gageure » (Sylvain
Broyer et Costa Brunner, « Qui détient les dettes
publiques européennes ? », Natixis, 24 mars 2010).
Les données portent sur neuf pays européens pour
lannée 2008. Dun côté, cinq pays non
concernés (pour linstant) par les attaques sur les dettes
souveraines (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni) et, de
lautre, les fameux PIGS (Portugal, Irlande, Grèce,
Espagne). Cet acronyme infâmant nest ici conservé
que par commodité.
On ne sait rien des évolutions
enregistrées depuis lors, mais on peut au moins compléter
linformation par la progression des ratios dette publique/Pib
entre 2008 et 2009 (Commission européenne, base de
données Ameco). Le premier constat est alors que la variation du
ratio dette/Pib a été particulièrement importante
dans les PIGS (+ 51,1 pour lIrlande) et moins
marquée dans les cinq pays non-PIGS, à lexception
notable du Royaume-Uni (+ 41,4). Les principaux enseignements de
ces données sont alors les suivantes. Rappelons que celles-ci
portent sur 2008 et reflètent donc la situation prévalant
avant la crise.
1) La part de la dette publique détenue par des
non-résidents est très variable dun pays à
lautre. Elle est quasi totale au Portugal (98,7 %) et
réduite au Royaume-Uni (34,7 %). Mais elle
représente la majeure partie des dettes des cinq pays
(61,6 %) et encore plus des PIGS (74,5 %). De ce point de
vue, la France, avec 70,8 % de la dette détenue par des
non-résidents, apparaît comme lun des pays les plus
dépendants.
2) Parmi les non-résidents, il faut distinguer les pays
européens et les autres. Dans le premier cas, la gestion des
dettes reste une question interne à lEurope. La France et
lAllemagne se distinguent par une proportion importante
(42 %) de la dette détenue par des non-résidents
hors Europe. Parmi ceux-ci les États-Unis et le Japon ne
représentent que respectivement 7 % et 8 %,
lessentiel étant donc entre les mains dautres pays
à excédent : probablement les pays
émergents ou pétroliers. Dans tous les autres pays sous
revue, la part des non-résidents hors Europe est nettement
moins importante, puisquelle va de 13,7 % aux Pays-Bas
à 27,7 % au Portugal.
3) La particularité importante des PIGS est que leur dette est
en grande partie détenue par des non-résidents
européens. Cette proportion va de 47 % en Espagne
à 73 % en Portugal. Mais cette dépendance à
légard de créanciers européens est encore
plus forte si lon ne considère que la seule dette
détenue par les non-résidents. Prenons le cas de la
Grèce : 78 % de sa dette était
détenue par des non-résidents, dont 56 % par des
non-résidents européens, ce qui donne une proportion de
71 %. Cette proportion est la même pour les PIGS :
elle avoisine ou dépasse les trois quarts.
Ce constat confirme donc ce quécrit
Jean Quatremer : « Les
marchés qui déstabilisent
lIrlande, le Portugal ou la Grèce sont, la plupart du
temps, des établissements financiers installés dans des
Etats membres de lunion
monétaire » (Libération, 27 novembre
2010). Parmi ces pays, les cinq pour lesquels on dispose de
données (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni)
détiennent plus de la moitié des dettes
non-résidentes des PIGS. Compte tenu de ces informations, le
sens politique de loffensive des
« marchés » est alors le
suivant : la « patate chaude » des
dettes privées a été dans un premier temps
passée aux finances publiques ; il faut maintenant quelle
passe aux peuples européens, à travers des plans
daustérité drastiques.
Michel Husson
Intertitres et adaptation de notre rédaction