Le Venezuela et les révolutions arabes en cours
Le Venezuela et les révolutions arabes en cours
Nous reproduisons ci-dessous le
discours prononcé par Jean Batou à loccasion de la
commémoration du Jour de la dignité nationale au
Venezuela (4 février), en présence de César
Méndez González, ambassadeur en Suisse, de Germán
Mundaraín, délégué auprès de
lONU à Genève, de Nelson del Poso Guzmán et
de Fernando Ruiz, membres respectivement des communautés
dominicaine et chilienne en Suisse.
Cest avec une grande émotion que je mexprime ce
soir devant vous, au moment où une vague révolutionnaire
secoue le monde arabe, de Tunis au Caire, dAlger à Amman
et à Sanaa au Yémen. En effet, il y a un rapport
évident entre ces événements et ceux du 4
février 1992 au Venezuela, que nous commémorons ce soir.
Tout le monde se souvient du Caracazo du 27 février 1989, contre
les mesures daustérité brutales, el Gran Viraje,
décidées par le FMI et imposées au Venezuela par
le président Carlos Andrés Pérez. Pour ceux qui
lauraient oublié, Carlos Andrés Pérez
était membre de l« Internationale
socialiste », comme le général Ben Ali…
Face à une telle provocation, qui
entraîne une hausse insupportable du prix des biens et des
services de première nécessité, le peuple se
soulève. La répression, conduite notamment par les
militaires, fait plus de 3000 morts. Lordre des riches
règne à Caracas, mais ce nest quune
apparence.
Autour dHugo Chávez, la
rébellion dune partie de larmée se
prépare. Elle débouchera sur la tentative de prise du
pouvoir civico-militaire du 4 février 1992, au moment même
où Carlos Andrés Pérez revient du Forum
économique de Davos.
Cest un échec, mais pas une
défaite cuisante, plutôt « un
revers », comme le montre Maurice Lemoine dans
Chávez Presidente ! Larmée est trop
divisée pour laisser liquider sommairement Hugo Chávez et
ses camarades.
Il aura ainsi la possibilité de sexprimer en direct
devant les caméras de la télévision, coiffé
de son légendaire béret rouge, pour appeler à
larrêt des combats et annoncer que les objectifs des
insurgés nont
« pour
linstant »
pas été atteints.
Dès lors, lobjectif stratégique
des responsables bolivariens sera de faire converger la dissidence
militaire, la lutte politique et la protestation populaire.
Aujourdhui, les peuples arabes se
soulèvent certes contre des dictatures séniles, celles de
Ben Ali, de Moubarak, de Bouteflika, de Saleh, mais
létincelle qui met le feu aux poudres, cest avant
tout laugmentation des prix des denrées alimentaires, de
32 % au second semestre 2010 (selon lindice de la
FAO).
Or ces hausses de prix résultent directement des politiques des
grandes puissances impérialistes, du capital financier, des
multinationales et de leurs agences internationales : le G8, le
FMI, la BM, lOMC, lOCDE, etc.
En renflouant massivement le secteur financier, ils
ont relancé la spéculation sur les matières
premières, lénergie et les produits alimentaires.
Et ses effets se font sentir partout dans le monde, plus durement
encore pour les centaines de millions de pauvres des pays du Sud.
Les chefs dEtat arabes
daujourdhui, tout comme Carlos Andrés Pérez
au Venezuela, il y a 20 ans, ne sont que les courroies de transmission
de décisions prises ailleurs, par les Global Leaders qui se
retrouvent à Davos.
Pour changer de cap, il ne suffit donc pas de se
débarrasser dun chef dEtat corrompu : le
Venezuela en a fait lexpérience avec le limogeage de
Carlos Andrés Pérez, remplacé, dailleurs
frauduleusement par Rafael Caldera, en 1994. Aujourdhui, la
fuite de Ben Ali et le départ annoncé de Moubarak peuvent
aboutir à la mise en place dautres Caldera, qui
poursuivront les mêmes politiques sous un autre masque.
Les expériences du Caracazo de 1989, du
soulèvement civico-militaire bolivarien du 4 février
1992, ainsi que des victoires électorales de 1998, 1999 et 2000,
qui ont permis la promulgation du paquet de lois de réforme
économique et sociale de novembre 2001, ont renforcé les
bases de lalliance entre le pouvoir bolivarien et les couches
populaires les plus défavorisées.
Cest cette alliance qui a garanti
léchec de la tentative de coup dEtat
réactionnaire du 11 avril 2002. Depuis lors, les
« missions » de combat contre la
pauvreté, financées par la rente
pétrolière, ont fait avancer dimportants
programmes dans les domaines de lalimentation, de la
santé et de léducation, avec la participation
active des habitant-e-s des quartiers populaires.
Cest pourquoi, en dépit des campagnes
massives de lopposition, largement appuyées par les
Etats-Unis, lUnion Européenne et les médias les
plus puissants, la révolution a continué à gagner
toutes les batailles électorales, il est vrai avec plus de
difficultés en septembre dernier.
Cependant, la révolution bolivarienne ne peut
être quune « création
héroïque », pour reprendre les termes de
José Carlos Mariátegui. Elle dépend donc de sa
capacité permanente à renforcer linitiative,
lorganisation et le pouvoir populaires en combattant les travers
de la bureaucratisation, qui favorisent les mesures impopulaires, la
démobilisation des masses et la réapparition de
privilèges inacceptables.
Sur le plan international, le Venezuela fait figure
davant-garde aux yeux dun grand nombre de pays du Sud, en
Amérique latine dabord, en raison de sa contribution
décisive au développement de lALBA depuis 2005.
Mais aussi au-delà, avec le projet de Banque du Sud, quil
a réussi à concrétiser, avec dautres pays,
en 2007. Il est donc en mesure de populariser une alternative au
consensus de Washington et à la mondialisation
néolibérale.
Lexpérience quil a
accumulée est aujourdhui précieuse pour les forces
qui, au cur des révolutions arabes en marche, veulent
véritablement dissoudre les noyaux durs des appareils
dEtat néocoloniaux, redistribuer les richesses en faveur
des plus pauvres, reprendre le contrôle de leurs ressources
naturelles, rompre avec léchange inégal et
poursuivre la lutte anti-impérialiste pour un monde plus juste.
Vive la révolution bolivarienne !
Vive la révolution arabe qui commence !