Dans le monde de la mode, derrière le bling-bling : le racisme et le sexisme
Dans le monde de la mode, derrière le bling-bling : le racisme et le sexisme
Dior a licencié son
célèbre couturier John Galliano suite aux propos
antisémites quil a tenus. Il ne faut pourtant pas y voir
une véritable remise en question de la part des milieux de la
haute couture, où le racisme demeure bien présent.
Ce mois-ci, un événement rare a eu lieu dans le domaine
de la mode : un public large a condamné John Galliano, le
couturier visionnaire et adulé de Christian Dior. En fait, la
gaffe qui a été fatale à Galliano est
double : il y a dune part les insultes antisémites
quil a proférées en public et, dautre part,
les coups portés aux patrons dun café parisien. Il
a fallu une semaine à la direction de Dior pour renvoyer
Galliano qui a été attrapé sous le feu des
projecteurs, sirotant un verre tout en déclarant son amour pour
Hitler et son dégoût pour les passants qui filmaient ses
propos. Le créateur britannique doit désormais affronter
non seulement la fin dune carrière brillante, mais
probablement aussi un séjour en prison, tandis quil suit
actuellement une cure de désintoxication. Pas de doute, son
licenciement est intervenu pour défendre les
intérêts des consommateurs et de lentreprise. Mais
considérer laffaire Galliano comme un cas isolé
reviendrait à ignorer les préjugés qui traversent
toute la profession, le plus souvent camouflés sous le voile
doré du monde de la mode.
Avant-gardes réactionnaires
La mode a réussi à se faire passer pour un bastion
ultra-progressiste, malgré les grosses machinations
fomentées par son industrie et sa clientèle aussi nantie
que conservatrice. En fait, le traditionalisme y est évident,
surtout quant il sagit de questions liées à la
« race ». Robin Givhans, analyste de la mode,
a récemment abordé la question dans un article du New
York Magazine intitulé « Pourquoi la mode
trébuche sans cesse sur la race ? ». Par
exemple, dit-elle, créateurs et experts de la mode saluent le
chic de Michelle Obama, mais ne se demandent jamais ce que
représente le fait quelle soit bien souvent la seule
personne de couleur dans la salle. Givhans ajoute :
« le monde de la mode se considère comme si
cosmopolite et sophistiqué quil joue sur des
stéréotypes, parfois pour les détruire, le plus
souvent pour profiter de leur existence ».
Cela nous ramène notamment au concept un peu
éculé (mais toujours utilisé) des
« photo-shooting » mettant en scène
des femmes blanches bien habillées, gambadant dans des villes du
Tiers-Monde. La juxtaposition de ces contrastes culturels constitue la
base dune inclusion ethnique au sein du merveilleux monde
vestimentaire de la société blanche. Les stylistes
drapent la clavicule aguicheuse dun top model avec des tissus
locaux en signe de reconnaissance de la culture du crû, mais cela
reste un accessoire de différenciation. Il ny a en fait
aucun moyen dacheter lécharpe ou la tunique en
question. Il en va de même pour la propension croissante à
présenter des mannequins de couleur, un choix qui répond
à la croissance dun public multiculturel. Mais il
ny a pas là de quoi rêver à un monde
post-racial.
Perversité
Les discriminations ne sarrêtent pas là.
Lannée passée, un photographe
célèbre, Terry Richardson, a fait lobjet
dune vive campagne de dénonciation portée
par le mannequin Rie Rasmussen pour avoir commis des abus
sexuels. Connu pour ses photographies simplistes et souvent
obscènes, Richardson na pas vraiment nié les
accusations. Se déshabiller en photographiant des jeunes
mannequins (parfois mineures) très peu vêtues, cest
pour lui une manière de se « mettre dans
lambiance ». Plus grave encore, certaines filles
parfois de manière anonyme ont affirmé
quil les sollicitait aussi pour des actes sexuels. Les
directeurs, les agents de casting et les rédacteurs sont tous
des complices, coupables davoir étouffé la
controverse autour de Richardson, bien que son comportement pervers
soit connu de tous.
Sans donner dans la quête du pire, lorsquon
considère le licenciement de Galliano, il est utile de se
rappeler quil y a dautres éléments sournois
sous le glamour de la mode. Avec Galliano, on a affaire à un
créateur instable, probablement ivre et clairement rongé
par la célébrité, qui a proféré seul
des déclarations racistes. Mais un prédateur sexuel qui
déguise son obsession sous la forme dun art, ou des
directeurs qui insistent sur le côté esthétique
dun visage de « black »,
nest-ce pas tout aussi condamnable ?
Fards
[
] Lorsquon considère tout cela, on peut
finalement sétonner que Dior nait pas passé
léponge dans laffaire Galliano. Mais un tel
soutien aurait pu être lultime faux pas. Ce licenciement
express était nécessaire pour sauver les relations
publiques de Dior. Quant aux actionnaires, ils étaient
pressés de mettre fin à cette controverse. Cette
décision, presque trop facile, est brandie comme un
trophée. Lentreprise, grand prince, se targue de montrer
lexemple en concédant au public que, bien
sûr, le monde de la mode est fragile.
Licencier Galliano na pourtant rien
dextrême. Cest le genre de politique de
tolérance zéro qui devrait être appliquée
plus souvent avec des célébrités grossières
et grandes gueules. Le risque est que ces quelques rares scandales
occultent les vrais débats. Lestablishment du monde de la
mode devrait réfléchir au traitement infligé aux
humains quil consomme.
Les hallucinations présentant un monde
débarrassé des discriminations raciales, de genre et
didentité sexuelle tel quil est
dépeint dans les magazines et la publicité
donnent lillusion dun univers progressiste aux
consommateurs. Mais ce nest quune solution de
facilité. Le monde réel, marqué par la guerre et
les traumatismes, ne peut être ni lissé ni fardé
par une soumission doucereuse et bien fringuée. 7
Anupa Mistry
Article paru sur le site www.alternet.org ; traduit et adapté de langlais par Giulia Willig