La loi de la valeur mondialisée:pour un Marx sans rivages
par Samir Amin
Le Temps des Cerises, Paris, 2011, 186 p
C’est une excellente initiative qua prise Samir Amin doffrir une édition «nouvelle, revisitée et augmentée» de son livre Le matérialisme historique et la loi de la valeur (1977). Car, avec ses contributions sur «le développement inégal» et «léchange inégal»
(thèmes de deux de ses ouvrages
parus en 1973), ses thèses sur la
«valeur mondialisée» constituent
très certainement lun des apports
les plus féconds de cet auteur au
marxisme contemporain. De plus,
elles demeurent de la plus grande
actualité.
Au 19e siècle, écrit-il en introduction, «Marx initie la critique radicale des temps modernes, dabord celle du monde réel». Le concept de
valeur y occupe un statut central et
émerge de sa critique des fondements de laliénation marchande et
de lexploitation du travail, particuliers au capitalisme. Malheureusement, son fameux Capital est resté un ouvrage inachevé : ses livres V
et VI, censés traiter respectivement du commerce international et du
marché mondial, selon une lettre de Marx à Lassalle, nont jamais été
écrits. Tout au plus, nen sait-on que ce que nous en laissent entrevoir quelques notes éparses. Or, les développements, et les sous-
développements, produits par le capitalisme au cours de ce dernier siècle et demi, lenchevêtrement singulier des relations entre «classes et nations» (référence à un autre titre de Samir Amin de 1979) caractérisant le monde actuel, nécessitent plus que jamais le traitement de ces questions, pour qui veut comprendre les réalités nouvelles.
Faisant sienne la démarche de Marx, Amin semploie de longue date à cette tâche : appréhender les étapes successives de la mondialisation capitaliste et impérialiste et en saisir les particularités actuelles.
Cela lui vaut dêtre depuis près dun demi siècle lun des auteurs
«marxistes» les plus stimulants de notre époque. Avec en tête une
question obsédante, celle du «sous-développement », du «développement » et des relations complexes entre «centres» et «périphéries». Peut-être est-ce lié au fait quil est né et a grandi en Egypte, à la charnière entre lAfrique et lAsie…
Louvrage paru récemment au Temps des Cerises aborde notamment : laccumulation dans le mode de production capitaliste
(chap. 1) ; léquilibre monétaire et la théorie du taux de lintérêt (chap.
2) ; le partage du surproduit entre capitalistes et propriétaires fonciers
et la théorie de la rente foncière (chap. 3) ; laccumulation à léchelle
mondiale dans le système impérialiste, la hiérarchisation des prix de
la force de travail et la rente impérialiste (chap. 4).
Pour Amin, Marx nest daucune façon un gourou ou un prophète. Il ne sagit pas den faire lobjet dexégèses sans fin souvent contradictoires. Au contraire. Etre «marxiste» selon Amin, «ce nest pas sarrêter à
Marx, mais partir de lui.» Autrement dit «Marx est sans rivages,
parce que la critique radicale quil amorce est elle-même sans rivages,
toujours incomplète, doit toujours être lobjet de sa propre critique, doit
sans fin senrichir de la critique radicale de ce que le système réel produit
de nouveau comme champs nouveaux ouverts à la connaissance.»
Et de conclure son livre ainsi :
«Au lecteur de juger si cette théorie marxiste du système capitaliste
mondial et de la loi de la valeur mondialisée tient la route, prolonge
bien les travaux de Marx, et en respecte lesprit. En tout cas je souhaite
que cette publication ouvre le débat sur la question.»
Florian Rochat