Salaires minimaux contre l’emploi : un mythe patronal à dissiper

Salaires minimaux contre l’emploi : un mythe patronal à dissiper



Un argument favori des organisations
patronales pour combattre le principe de la fixation d’un salaire
minimum légal est celui du prétendu
renchérissement excessif du coût de la
main-d’œuvre. Cela dissuaderait les employeurs de
créer des emplois, pire les inciterait à en supprimer en
délocalisant.

Autrement dit, en acceptant que la loi fixe un salaire minimum, les
travailleur·euses salarié·e·s se tireraient
une balle dans le pied. Le seul petit grain de vérité
dans cette affirmation est que le taux de profit et son
évolution jouent un rôle majeur dans le fonctionnement du
capitalisme et a donc un impact sur la création ou la
suppression d’emplois. Mais la mise en valeur du capital et la
réalisation de cette valeur obéit à des
mécanismes plus complexes que ne laissent croire les slogans
démagogiques des organisations patronales.

Un raisonnement spécieux

Ce raisonnement patronal repose sur l’idée que les
travailleur-euses les moins bien payés (dans
l’agriculture, le commerce, l’hôtellerie et
restauration, le nettoyage, les services à la personne,
notamment) seraient peu productifs. Par conséquent, les
coûts salariaux ne devraient pas dépasser le
« peu » que ces personnes produisent. Cette
affirmation ne résiste pas à l’examen, puisque les
secteurs économiques où sont occupées les
400 000 personnes gagnant moins de 3800 francs par mois (dont
une majorité de femmes) en Suisse ne sont pas moins profitables
pour les employeurs que d’autres secteurs utilisant une
main-d’œuvre bien mieux payée.

    Il n’y a aucune corrélation
mécanique entre le niveau du salaire réel et la
productivité du travail. Le salaire peut être très
bas et la productivité du travail relativement
élevée. Pour les employeurs, la main-d’œuvre
est avant tout un coût. Ils
« oublient » de reconnaître que leurs
employé·e·s créent une valeur et
qu’en s’appropriant les résultats de leur travail,
cette nouvelle valeur leur revient entièrement. Ils la
réalisent au moment de la vente du produit final au client
(marchandise physique ou service). Dès lors, on ne voit pas en
quoi les profits d’un restaurateur de Verbier ou de Gstaad
seraient substantiellement menacés par l’augmentation
à 22 francs de l’heure du salaire d’un·e
aide de cuisine payé actuellement 18 fr./heure. Pour les
entreprises industrielles et commerciales, ce qui compte est la
dynamique de la productivité physique du travail, à
savoir le rapport entre la croissance de la productivité du
travail et celle des salaires réels. Tant que ceux-ci croissent
à un taux inférieur ou égal à celui de la
productivité du travail, le taux de profit n’est pas
« affecté ». L’évolution
de ce dernier dépend aussi de l’évolution de la
demande, donc de la croissance ou non de la consommation. Ce
deuxième facteur n’est pas non plus lié au niveau
du salaire minimum que le capitaliste serait tenu de lâcher en
vertu d’une disposition légale.

Salaire minimum et création d’emplois

S’agissant des branches tournées vers le marché
intérieur, on peut ajouter que l’instauration d’un
salaire minimum obligatoire favoriserait la consommation (les personnes
à faible revenu ne thésaurisent pas), ce qui de
manière générale accroîtrait les
débouchés pour ces secteurs et donc favoriserait
l’emploi.

    S’agissant du secteur des branches
exportatrices, l’existence d’un salaire minimum
légal ne jouerait pratiquent aucun rôle sur le niveau de
l’emploi. On ne voit pas en quoi l’augmentation du salaire
horaire d’une ouvrière dans l’horlogerie à un
minimum de 22 francs (le salaire horaire minimum actuel fixé
dans la Convention collective de l’horlogerie est de 19,37 fr.)
menacerait les profits fantastiques des entreprises horlogères
(ni non plus les salaires des horlogers complets qualifiés). Le
niveau de l’emploi dépend de l’évolution de
la demande sur le marché mondial et de la nature des
investissements que les entreprise exportatrices font pour maintenir
leur place face à la concurrence (investissements
créateurs d’emploi destinés à
accroître la production, en nette baisse depuis les débuts
des années 1990, ou investissements intensifs remplaçant
le travail humain par des machines afin d’accroître la
productivité des capitaux investis).

Pour en débattre…

En outre, les bas salaires ne concernent pas seulement les working
poor, mais l’ensemble des sala­rié·e·s
puisqu’ils plombent toutes les rémunérations.
S’enclenche alors une véritable spirale vers le bas des
revenus. C’est cela que l’initiative cantonale pour un
droit à un salaire minimum veut combattre.

    Le vote du 15 mai prochain est aussi
l’occasion de tordre le cou à certaines idées
reçues et de mettre en lumière le fonctionnement du
capitalisme.

    Dans son rapport mondial sur les salaires, le Bureau
international du travail (BIT) constate ceci en 2009 :
« Le salaire minimum est un instrument pratiquement
universel qui est appliqué par la plupart des pays quelle que
soit la région, à l’exception du
Moyen-Orient ». On le sait depuis, même le
Moyen-Orient peut changer. Le canton de Vaud aussi.

Pierre-Yves Oppikofer


débat contradictoire

Jeudi 5 mai
20 h
salle des Vignerons, buffet de la gare, Lausanne
Org.: Comité unitaire « Vivre dignement est un droit :
2×OUI le 15 mai 2011 »
cf. annonce en p.20


Une action symbolique a été menée le 1er avril
à la place de l’Europe par une soixantaine de jeunes,
protestant contre l’entrée en force de la 4e
révision de la loi sur l’assurance chômage.
« On sauve l’UBS mais les jeunes
galèrent » lisait-on sur la banderole surplombant
la place. L’action dénonçait les graves
conséquences de cette révision de la LACI sur les jeunes
chômeurs·euses et précaires. Pour cette
catégorie d’âge, la plus touchée par le
chômage, la nouvelle loi réduit drastiquement les
prestations. Avec aussi la suppression de la notion
d’« emploi convenable » pour les moins
de 30 ans, qui devront accepter n’importe quel travail sans lien
avec leur qualification. Les Vaudois·e·s ont largement
refusé cette révision en votation, nous exigeons donc des
autorités cantonales des mesures urgentes pour maintenir les
droits en vigueur avant la révision. Photos : Flore
Zurbriggen