Pakistan: la mort de Ben Laden ne met pas fin au désir de vengeance

Pakistan: la mort de Ben Laden ne met pas fin au désir de vengeance



Dans les premiers jours qui ont suivi
la mort d’Oussama Ben Laden, la réaction de la population
au Pakistan a été très mitigée. Au Pendjab,
une sympathie générale pour Ben Laden existait, mais elle
ne s’est pas vraiment exprimée. Dans le Sind, les
réponses ont été différentes selon les
villes. Par exemple, à Karachi, il y a eu davantage de
commisération active pour Ben Laden et de condamnations de
l’attaque américaine.

De manière surprenante, il n’y a pas eu beaucoup de
réactions dans la région de la Passe de Khyber (Khaybar
Pakhtoonkhawa) où Ben Laden a été tué. De
même, le Balouchistan a faiblement réagi à ce
meurtre. Toutefois, la mobilisation contre l’attaque US est en
train de se développer à Abbot Abad et va se propager
ailleurs. […]

    Cette attaque a pris tout le monde par surprise. Les
gens étaient désorientés et incapables de
s’exprimer. Personne ne s’attendait à une
intervention si brutale peu de temps après la libération
de David Ramon, l’agent de la CIA qui a abattu deux Pakistanais
en plein jour au début de l’année à Lahore.
Contrairement à la faiblesse des réactions après
l’élimination de Ben Laden, la mobilisation après
les meurtres commis par David Ramon a été si forte
qu’elle a placé le gouvernement sur la défensive.
L’exécution de Ben Laden semble bien indiquer que
l’impérialisme américain progresse dans sa mainmise
sur le Pakistan.

    Les partis politiques religieux, comme le Jamaat
Islami et le Jamiat Ulemai Islam passent sous silence les massacres et
les atrocités commises par Al-Qaida, mais ils critiquent les
Etats-Unis pour leur « violation de la souveraineté
du Pakistan ». Partisan d’une ligne dure, le
fondamentaliste religieux Hafiz Saed, du Jamat Dawa, a
prêché la consolation pour la mort de Ben Laden, lui
dédiant la prière des morts musulmane (Nama Jenaza). Il
ne faudra pas attendre longtemps pour voir ces partis organiser la
sympathie à l’égard du chef d’Al-Qaida et
manifester dans la rue.

    Les partis bourgeois, comme le Pakistan
People’s Party (PPP), la Ligue musulmane du Pakistan Q et la
Ligue musulmane du Pakistan N soutiennent l’action
américaine. Pour eux, c’est une grande victoire contre la
montée du fondamentalisme religieux.[…]

L’alliance gouvernementale entre le Pakistan et les Etats-Unis

Au cours de l’année dernière, les Etats-Unis et le
Pakistan ont cimenté leurs relations. On le voit à
travers les visites croisées entre fonctionnaires du
renseignement et le nombre de visas accordés aux agents de la
CIA. Le gouvernement pakistanais a aussi donné le feu vert aux
attaques de drones US, abandonnant la condamnation prononcée au
début de ces opérations. […] Le gouvernement
américain a constamment soutenu le gouvernement, très
fragile, du PPP, qui a suivi sans hésitations les conseils de
l’impérialisme US, du FMI et de la Banque mondiale.
L’exécutif américain ne pouvait avoir un meilleur
partenaire que ce gouvernement, dirigé par les
éléments les plus corrompus et les plus antisociaux. Il
semble en outre que Washington ait donné sa
bénédiction à l’entrée dans le
gouvernement de la Ligue musulmane du Pakistan Q, qui gouverna avec le
général Musharraf. Le jour de l’exécution de
Ben Laden, 14 ministres de la Ligue ont prêté serment et
rejoint ce qu’un des nouveaux intronisés à
appelé le « bateau de la noyade ».

Un effort conjoint

L’attaque contre le groupe d’Oussama Ben Laden est le fruit
d’un effort conjoint du Pakistan et des services de
renseignements américains. Le général Kiani, qui a
succédé à Musharraf à la tête de
l’armée, est l’ancien chef des services secrets
(ISI). Il a une longue habitude de la collaboration avec
l’impérialisme US. En 2007, il entama les
négociations avec Benazir Bhutto pour le partage du pouvoir avec
Musharraf. Les pressions de Benazir pour que Musharraf renonce à
sa double casquette de président de la république et de
chef de l’armée ont abouti à la nomination de Kiani
à la place de ce dernier. Sous la direction de Kiani,
l’« establishment » militaire a
commencé à rompre ses liens traditionnels avec les
fanatiques religieux, provoquant en retour des attentats ciblés
contre les quartiers généraux de l’armée et
l’assassinat d’officiers supérieurs.[…]

Le terrorisme religieux ne disparaîtra pas

Malgré le grand coup porté par la mort de Ben Laden,
Al-Qaida et d’autres groupes religieux terroristes vont se
développer. Dans son excellent texte « Pourquoi les
marxistes s’opposent au terrorisme individuel »,
Léon Trotsky a fait remarquer que « la source
psychologique la plus importante du terrorisme est toujours le
sentiment de vengeance à la recherche d’un
exutoire ». Le désir de vengeance ne
disparaîtra pas avec la mort de Ben Laden. Son élimination
et l’immersion de son corps dans la mer d’Oman ne mettra
pas fin au terrorisme. En fait, le terrorisme religieux va se
développer comme conséquence de l’action de
l’impérialisme. Une  partie des jeunes musulmans qui
cherchent le moyen pour s’opposer à
l’impérialisme US peuvent être attirés par ce
genre d’action. De nouveaux groupes terroristes vont se former.

    Cela ne signifie pas que les fanatiques religieux
pourront s’emparer du pouvoir au Pakistan. L’armée
pakistanaise est une force brutale qui a démontré
à plusieurs reprises combien elle est prête à
recourir à la violence lorsque son pouvoir est menacé.
L’armée pakistanaise travaillera main dans la main avec
les Américains afin que les fanatiques ne progressent pas plus
à Islamabad et ne mettent pas la main sur la technologie
nucléaire du pays.[…]


Farooq Tariq

Porte-parole du Labour Party
Pakistan. (Traduction et adaptation de la rédaction
d’un article paru avant l’attentat du 13 mai).