Banquiers et diplomates suisses dans un monde en guerre
Banquiers et diplomates suisses dans un monde en guerre
Lhistorien Marc Perrenoud
publie un imposant ouvrage sur les relations, faites de tensions et de
complicité, entre banquiers et diplomates suisses durant la
Seconde Guerre mondiale. Prolongement du travail colossal
effectué en son temps par la Commission Bergier, cet ouvrage
simpose déjà comme un livre incontournable de
lhistoire économique de la Suisse au 20e siècle.
Marc Perrenoud a été le conseiller scientifique mais
surtout la cheville ouvrière de la Commission Bergier qui, entre
1997 et 2001, a mis à nu, sans complaisance, la nature et
lampleur des relations économiques tissées entre
la Suisse et lAllemagne nazie. Près de dix ans
après la publication des rapports de la Commission, Marc
Perrenoud approfondit lanalyse des liens entre Place
financière suisse et neutralité, ces deux piliers de
lidentité helvétique dans ses relations
internationales contemporaines.
La familiarité toute particulière de
lhistorien avec les Archives fédérales, ainsi
quavec celles de la Banque nationale suisse, de la Banque des
règlements internationaux et des Archives dhistoire
contemporaine à Zurich lui permet dentrer dans les
coulisses où se jouent les relations entre banquiers et
diplomates suisses. Dans cet ouvrage, Marc Perrenoud analyse le lien de
dépendance croissante qui sinstaure entre la
Confédération et les milieux financiers durant la guerre.
La politique de guerre économique qui sinstaure entre les
belligérants pousse les banquiers à recourir aux services
des diplomates pour défendre leurs intérêts.
Cest que les créances financières suisses dans le
monde, « cette propriété
coloniale », sont énormes étant donné
le rôle de plaque tournante de capitaux que la place
financière suisse était parvenue à sarroger
déjà dans lentre deux guerres. Malgré le
refus des banquiers de fournir les informations sur leurs
activités, ce qui est source de fortes tensions, les diplomates
sattèlent à préserver les
intérêts privés dans le monde. Ainsi la
Confédération intervient de façon croissante sur
les questions financières et, en octroyant dimportants
crédits à lAllemagne et à lItalie,
elle assume elle-même les risques financiers de telles
transactions. De lautre côté, les
établissements bancaires contribuent dans une large mesure au
financement des dépenses fédérales. La
Confédération devient ainsi le principal débiteur
des grandes banques. Ce ne sont pas moins de 26 emprunts à long
terme qui sont mis en souscription publique durant la guerre. Sous cet
effet, la dette publique de la Confédération passe de 2.7
milliards en 1938 à 11.5 milliards à la fin 1946.
Cest à travers les relations de la Suisse avec les
principaux belligérants que Marc Perrenoud analyse, avec
finesse, lorigine, lévolution et les
conséquences de l« expansionnisme financier
au profil discret » qui opère, de 1938 à
1946 un « double mouvement de mondialisation et
dhelvétisation. »
Isabelle Lucas
*Marc Perrenoud,
« Banquiers et diplomates suisses »
(1938-1946), Editions antipodes : Lausanne 2011.
Lauteur présentera son
livre à la Librairie du Boulevard à Genève (34 rue
de Carouge) le 14 juin
à 17h30.