Inondations en Thaïlande

Inondations en Thaïlande : Quels effets sur les réformes économiques et sociales ?

Trois mois après les élections qui lui ont assuré une victoire écrasante, Yingluck Shinawatra?1 dirigeante du Puea Thai et première femme Premier ministre de Thaïlande doit faire face aux pires inondations depuis 1942.

[…] Le gouvernement a été très vivement critiqué pour la mise en œuvre tardive d’aides jugées relativement inefficaces. Au-delà de cette crise, c’est l’ensemble de la gestion de l’eau qui est à revoir. Le département d’irrigation de l’office d’hydrologie et de gestion de l’eau a maintenu l’eau pendant plusieurs mois à un niveau très élevé dans les deux plus grands barrages […]. L’eau contenue a dû être relâchée au pire moment, accentuant les inondations en aval et aggravant la situation aux abords de la capitale.

Les dégâts matériels sont absolument considérables et les conséquences économiques se font déjà sentir. Les maisons et infrastructures ont été détruites ou endommagées par centaines de milliers. De larges zones de la plaine centrale, le grenier à riz de la Thaïlande, ont été submergées par les flots détruisant 10 % des récoltes du premier exportateur mondial de riz. Plusieurs zones économiques ont aussi été inondées affectant plus de 10 000 usines, certaines ayant dû fermer. Des centaines de milliers d’emplois sont menacés et, avec eux, le revenu de millions de personnes qui en dépendent.

Conséquences internationales

L’économie thaïlandaise n’est pas seule affectée par les inondations. La Thaïlande produit des matières premières et des composants approvisionnant les chaînes de production manufacturières dans d’autres pays où ils sont utilisés pour fabriquer des produits finis sur place. C’est par exemple le cas dans la micro-informatique et l’automobile. 60 % des disques durs proviennent de Thaïlande et leur pénurie a entraîné une hausse des prix sur les marchés internationaux. L’industrie automobile représente, quant à elle, 12 % du PIB et emploie 300 000 personnes. La plupart des grands constructeurs, assembleurs et fabricants de pièces et de composants se sont installés en Thaïlande. L’arrêt de la production dans certaines usines entraîne des dysfonctionnements dans la chaîne de production d’autres pays. […]

Selon de premières prévisions qui n’incluent pas d’éventuels dégâts dans le centre de Bangkok, le coût des inondations pourrait s’élever à 4 milliards de dollars et représenter 1 à 1,5 % du PIB. Avec une économie qui tourne au ralenti, les rentrées fiscales sont au plus bas. Cette catastrophe naturelle aux conséquences sociales et économiques énormes pourrait avoir à plus long terme un impact sur la politique économique et les mesures sociales proposées par le Puea Thai en faveur de sa base électorale populaire durant la campagne électorale. […]

Parmi les mesures phares de la campagne électorale, le Puea Thai s’était engagé à porter le salaire minimum journalier à 300 bahts (7€) pour tous au 1er janvier 2012. Actuellement, il n’y a pas de salaire minimum à l’échelle nationale, mais un salaire minimum dans chaque province qui oscille entre 159 (3,75 €) et 221 (5,20 €) bahts par jour.

Le salaire minimum en Thaïlande est déterminé et mis en œuvre par une commission tripartite composée de 15 membres – 5 représentants de l’État, 5 représentants des employeurs, 5 représentants des salarié·e·s. Mi-octobre, un accord a été trouvé entre les représentants des salarié·e·s et de l’État, contre l’avis du patronat. Le salaire minimum sera augmenté de 40 % à l’échelle nationale à partir du 1er avril, ce qui le portera à environ 300 bahts à Bangkok et dans 6 provinces où il est déjà assez élevé. Dans les 77 autres provinces, il restera donc en dessous du seuil des 300 bahts promis durant la campagne électorale, mais devrait progressivement augmenter jusqu’à 300 bahts en trois ou quatre ans.

Le sort des réformes

En imposant une hausse substantielle du salaire minimum journalier contre l’avis des industriels déjà affectés par les inondations, le gouvernement a envoyé un signal fort à sa base électorale composée principalement d’ouvriers et de paysans. Les petites et moyennes entreprises seront les plus affectées par la hausse des salaires. Mais si l’on regarde sur l’ensemble de la décennie, l’augmentation du salaire minimum n’a dépassé que deux fois l’inflation, en 2001 et 2007, et globalement il a au mieux stagné.

[…] Durant la campagne électorale, le Puea Thai a avancé d’autres mesures économiques en faveur des plus modestes, qui composent la majorité de la population, comme de permettre aux emprunteurs de suspendre le remboursement de leur dette pendant 3 ans, de garantir le prix du riz, d’indexer le remboursement des prêts octroyés par l’État aux étudiants à leur revenu, de fixer à nouveau à 30 bahts le prix de la couverture universelle pour les soins médicaux. La mise en œuvre de telles mesures bouleverserait en partie à moyen terme la structure socio-économique de la Thaïlande.

La crise provoquée par les inondations va être un véritable test politique. S’il veut tenir ses promesses de campagne et engager un programme de reconstruction après les inondations qui profite à la majorité, le gouvernement va devoir mettre en œuvre une politique fiscale courageuse qui va chercher l’argent là où il est, en premier lieu parmi les millionnaires thaïlandais et la famille royale, et en diminuant drastiquement le budget de l’armée qui a explosé depuis le coup d’État militaire de 2006. Cela suppose de s’affronter aux élites qui ne sont pas disposées à payer une politique qui bénéficierait aux larges masses. […]

Danielle Sabai

coupures et intertitres de la rédaction

  1. Plus jeune sœur de Thaksin Shinawatra, homme d’affaire et politicien renversé par un coup d’État militaire en septembre 2006.