Derrière les gesticulations de Leuthard, l'échec de la politique climatique suisse

Dans une réunion préparatoire à la Conférence de Durban sur le climat, la ministre en charge de l’environnement, Doris Leuthard, a déploré que chaque pays « essaie de protéger ses propres intérêts au lieu d’agir dans les intérêts de la communauté internationale », ajoutant que « tout retard dans l’action pouvait être fatal ». Ces grandes leçons adressées à la « communauté internationale » et, en particulier, aux pays émergents seraient sans doute plus crédibles si les autorités helvétiques n’agissaient pas exactement de la manière dénoncée par la ministre argovienne.

D’emblée, les choses ont mal commencé pour la politique climatique helvétique. Sous la pression de divers groupes d’intérêts patronaux, le protocole de Kyoto a été signé tardivement, en 2003, soit six ans après sa mise sur pied. La Suisse s’est donc engagée après moult tergiversations à ce qu’entre 2008 et 2012, ses émissions de gaz à effet de serre soient réduites de 8 % par rapport au niveau de 1990. C’est raté ! Les émissions sont restées à peu près stables, autour de 41 millions de tonnes par an (ou de 50 millions de tonnes d’« équivalents CO2 », soit l’ensemble des gaz à effet de serre (GES) traduits en CO2). Un rapport de juillet 2011 signé par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), intitulé Environnement Suisse le reconnaît d’ailleurs explicitement : «?Le total des émissions de GES au sens du Protocole de Kyoto est pratiquement resté stable en Suisse depuis 1990». Si l’on y ajoute les émissions « grises », provoquées par les marchandises et services importés, on peut même ajouter 78 % d’émissions supplémentaires. Et pourtant, les objectifs de réduction fixés par Kyoto sont désormais unanimement reconnus comme insuffisants ; le groupe d’expert de l’ONU pour les questions climatiques, le GIEC, préconise une baisse de 40 % d’ici 2020 pour ne pas dépasser le seuil dangereux des 2° de hausse.

Pas besoin d’aller chercher très loin la cause de l’échec de la politique climatique helvétique. Elle réside en particulier dans la capitulation des autorités devant les lobbies pétroliers et routiers. Ces derniers ont en effet obtenu l’exemption de réduction contraignante jusqu’en 2012 : pas idéal, quand on sait que 29 % des émissions helvétiques proviennent du seul trafic routier. Les émissions liées aux carburants ont ainsi augmenté de 13 % en 2009 par rapport à 1990.

Miracle du marché

Comment la Suisse a-t-elle pu éviter les foudres des pays signataires de Kyoto ? Par un instrument miracle, le « marché des quotas d’émission », qui permet de réduire artificiellement le bilan carbone d’un Etat. Dans un rapport de 2009, intitulé L’échange de quotas d’émission. Un instrument de marché pour la protection du climat, l’OFEV vante cet « instrument » qui «concède aux Etats une certaine flexibilité dans la réalisation des objectifs climatiques». Une «certaine flexibilité» que la Suisse n’a pas hésité à utiliser, achetant régulièrement des droits d’émission supplémentaires à des pays moins pollueurs. Ce commerce est devenu si florissant que même la place financière et les assurances pourraient y trouver leur compte, car, selon le rapport susmentionné, «l’échange de quotas d’émission et de certificats a donné naissance à un nouveau marché, exploité par une branche du secteur des services en plein développement. Le marché du CO2 a maintenant ses négociants, ses experts financiers, ses gestionnaires, mais aussi des spécialistes qui développent de nouveaux produits financiers dans ce secteur. En outre, des conseillers, des fournisseurs de nouvelles technologies, des prestataires de services financiers, des courtiers et des assureurs trouvent de nouveaux champs d’activité».

Et la suite ?

Dans le discours tenu à Durban, Leuthard a annoncé que «la Suisse entend renforcer son engagement en faveur d’un Protocole de Kyoto pour la période après 2012 si tous les grands émetteurs acceptent des engagements ambitieux proportionnellement à leurs capacités». Autrement dit, on ne bougera pas tant que les Etats-Unis, le Canada et tout le peloton de tête des pollueurs planétaires n’en feront pas de même. Le directeur de la faîtière patronale Economiesuisse, Pascal Gentinetta, est au diapason : il estime qu’«une décision d’atteindre une réduction de 20 % des émissions nocives d’ici 2020 par des mesures prises uniquement en Suisse est ‹irréaliste›» (Le Temps, 2.09).

En attendant, la ministre argovienne sait que l’objectif de Durban du point de vue des intérêts capitalistes suisses se situe ailleurs : notamment, dans la promotion, de l’industrie « cleantech » helvétique, une nouvelle ruée vers l’or où sont engagés des poids lourds comme ABB. La part des « cleantech » dans le PIB helvétique aurait pesé 20 milliards de francs en 2008. Ainsi, à Durban, Economiesuisse, en collaboration avec trois offices fédéraux (environnement, économie et… aide au développement) a mis sur pied un « pavillon suisse » visant à promouvoir les exportations helvétiques « propres ». Comme le relève la NZZ qui ne perd jamais le Nord, «les conférences climatiques de l’ONU sont toujours aussi des places du marché» (6.12). En fait, c’est le protocole de Kyoto qui encourage cette pratique, présentée comme l’une des composantes de l’échange des droits d’émission. Le rapport de l’OFEV déjà cité est explicite : Kyoto «permet à un Etat de réduire des émissions à l’extérieur de son territoire, en investissant dans des projets de protection du climat à l’étranger et en obtenant pour cela des certificats d’émission». Chaque panneau solaire vendu par ABB dans un pays émergent lui permet de polluer un peu plus en Suisse : il fallait y penser.

Hadrien Buclin

Des informations supplémentaires sur la politique climatique suisse peuvent être trouvées dans la brochure publiée en février 2011 par le groupe écosocialiste de solidaritéS téléchargeable sur www.solidarites.ch