Après la conférence de Durban:
Après la conférence de Durban: : REDD, une usine à gaz carbonique
Sur un seul point, la conférence de Durban aura progressé. Malheureusement dans le mauvais sens, puisqu’elle a décidé que la protection des forêts tropicales pourrait être financée par la vente de crédits carbone. Autrement dit, les pays développés « non vertueux » pourront intensifier leurs émissions de CO2 grâce à ces crédits issus de la renonciation envisagée à une déforestation.
Quand il s’agit d’inventer des mécanismes compliqués et flous tout à la fois, l’ONU ne manque pas d’imagination. Le mécanisme REDD (pour « Réduction des émissions dues au déboisement dans les pays en développement ») a été peu à peu défini, dans ses grandes lignes, à partir de la conférence de Montréal en 2005. Son objectif n’est pas de stopper la déforestation, mais d’inciter financièrement à en atténuer la portée. Il y a là plus qu’une nuance.
Lutter contre la déforestation relève d’une nécessité évidente, puisque les forêts sont un élément fondamental des cycles de l’eau et du carbone sur la Terre. Près de 18 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine «anthropique» proviennent de ce que le GIEC désigne par le doux euphémisme de « changement d’affectation des terres et foresterie », autrement dit du déboisement. Plutôt que de s’attaquer aux causes profondes de ce processus, le mécanisme REDD préfère de beaucoup faire des câlineries financières à ceux qui déboisent beaucoup.
Qu’est-ce qu’une forêt ?
Jusqu’à ce jour, le recensement international des forêts de la FAO inclut les plantations, ce qui donne la possibilité aux gouvernements concernés de continuer à abattre des forêts naturelles et à les remplacer par des plantations, y compris de palmier à huile, à l’origine de vastes déforestations. A partir de là, rien ne permet d’exclure, par exemple, des plantations d’arbres génétiquement modifiés pour obtenir une croissance plus rapide.
En jouant sur la confusion entre forêt primaire et plantation, le mécanisme REDD rend un fort mauvais service à la captation du carbone, puisque l’on sait que les plantations ne conservent que le 20 % du carbone capté par des forêts naturelles intactes.
Le calcul de l’incitation financière
Pour freiner la déforestation, REDD se propose de financer le « déboisement évité ». Les gouvernements présentent donc des projets évitant ce déboisement. On calcul ensuite – à travers des méthodologies peu unifiées, obscures et bricolées – combien cela permet d’éviter l’émission de tonnes de carbone. Le « prix » du projet est ensuite fixé en fonction du marché des émissions de CO2.
Prenons le pays X, qui a une gestion précautionneuse de ses ressources forestières et déboise peu. Ses projets ne permettront d’éviter qu’une faible déforestation. Donc ils ne « vaudront » pas grand’chose. Par contre, le pays Y, qui se conduit comme un sauvageon avec sa forêt et déboise beaucoup pourra présenter des projets bien plus «valables» ; son indemnisation sera donc plus importante. Le mécanisme est pervers, qui vient en fait récompenser ceux qui déforestent le plus.
Il y a carbone et carbone
En mettant sur le même pied, à travers le financement par le marché du carbone, le CO2 piégé par les arbres et celui stocké dans les gisements de combustibles fossiles, REDD confond sciemment deux cycles du carbone.
Le premier, dit superficiel, voit le carbone piégé par les arbres retourner dans l’atmosphère lorsqu’ils meurent ou pourrissent ou lorsque les produits de bois se décomposent. En gros, dans ce cycle, captages et émissions de CO2 se compensent à moyen terme. En revanche, le CO2 qui se trouve dans les combustibles fossiles a mis, lui, des centaines de milliers d’années à s’accumuler dans le sous-sol; une fois libéré, il ne peut retourner dans ces réserves souterraines et ne peut donc qu’augmenter la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère. Selon son origine, une tonne de CO2 n’équivaut pas à une tonne de CO2 !
De la loi Waxman-Markey à la ruée des banques
Cet échange, on ne peut plus inégal, a déjà ouvert bien des appétits. Sous le nom officiel d’American clean energy and security act, dite loi Waxman-Markey, les Etats-Unis se sont octroyés le droit de recourir à l’énergie du charbon en compensant cette combustion par l’achat, pour deux milliards de dollars par an, de crédits carbone. Récemment, en septembre 2011, la crème de la finance privée internationale (200 institutions financières, dont Bank of America Meryll Linch, Deutsche Bank, Credit Suisse, BNP-Paribas, Rabobank, etc.) a cosigné un rapport avec le Programme mondial des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), ouvrant la voie à un financement privé du mécanisme REDD. Pour le représentant de la Bank of America Meryll Linch, « les banques, les assureurs et les investisseurs qui sont membres de l’initiative financière du PNUE sont optimistes quant au fait que les gouvernements, lors de la rencontre de Durban en décembre, vont réaliser l’importance de la mobilisation de capitaux privés pour aider à réduire la déforestation et la dégradation des forêts ». Les banques avaient raison d’être optimistes. En ces temps de tourmente financière, les marchés liés au carbone et aux forêts semblent très prometteurs. Gagner de l’argent grâce aux émissions de crédit carbone pour s’offrir le dernier 4 x 4, voilà le rêve de tout banquier convenablement verdi.
Daniel Süri