Des mesures d'accompagnement comme cache-sexe

Le Conseil Fédéral brandit des nouvelles mesures d’accompagnement à la libre-circulation comme solution au manque de protection des travailleurs-euses. En vérité, rien n’est fait pour lutter véritablement contre le dumping salarial dont de plus en plus de nouveaux cas sont découverts.

Jeudi 12 janvier, le syndicat Unia organisait une conférence de presse dans un chantier de la banlieue genevoise. Un nouveau cas de dumping salarial a été découvert, un de plus sur une liste qui ne cesse de s’allonger. Il ne se passe pas une semaine sans que les médias ne fassent écho de ces cas d’exploitation.

Les ouvriers y étaient payés 10 euros de l’heure, employés par une fourmilière d’entreprises sous-traitant en cascade sur ce chantier de taille modeste, se renvoyant la responsabilité du dumping salarial.

Parallèlement, au niveau fédéral, la période de consultation sur des modifications aux mesures d’accompagnement à la libre circulation prenait fin. Dans son message introductif, le Conseil fédéral prenait acte: «les lacunes de l’actuelle législation sur les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes doivent être comblées»… pour ne rien proposer de très concret.

En effet, quelques lignes plus bas, le Conseil fédéral estimait que «l’expérience acquise pendant sept ans dans l’exécution des mesures d’accompagnement montre que celles-ci garantissent une protection efficace des travailleurs indigènes et étrangers contre les sous-enchères salariales et les violations des conditions de travail.»

Miettes de cacahouète

C’est pourquoi ce nouveau volet des mesures d’accompagnement n’apporte pratiquement rien de nouveau pour les salariés de ce pays. On pourrait parler de miettes de cacahouètes.

En l’absence de mobilisations d’ampleur des salariés, le Conseil fédéral n’a été à l’écoute que des organisations patronales pour proposer ses changements dans les mesures bilatérales. C’est pourquoi sa mesure clé consiste à mieux lutter contre le phénomène des faux indépendants, essentiellement sur demande de l’Union suisse des arts et métiers (USAM) pour se protéger contre la concurrence déloyale.

Et c’est pourquoi pour mieux protéger les petites entreprises, le projet prévoit qu’il sera possible d’arrêter les travaux en cas de soupçon de faux-indépendants.

Mais c’est pourquoi aussi les sanctions en cas d’absence de documentation prouvant le statut d’indépendant pourront être adressées directement au salarié et pas seulement à son véritable employeur! Une amende qu’un employeur n’aura d’ailleurs pas de mal à s’acquitter puisqu’elle sera plafonnée à un maximum de 1000 francs!

Deux autres changements sont prévus dans ce paquet du Conseil fédéral: la possibilité d’infliger des sanctions en cas de violation d’un contrat type de travail (CTT) et la même possibilité en cas d’infraction à une convention collective de travail (CCT) étendue de façon facilitée. Possibilités qui n’existent pas à l’heure actuelle!

Cette demande émanait des cantons latins, les seuls à avoir édicté des CTT pour réguler les bas salaires dans quelques branches. Il n’existe que 6 contrats type de travail en Suisse, tous prévoyant des salaires minimaux inférieurs à 4000 francs par mois, à Genève dans l’économie domestique et l’esthétique, au Tessin dans l’esthétique et les call-centers, en Valais dans le nettoyage industriel et au niveau national dans l’économie domestique.

Quant aux conventions collectives de travail rendues obligatoires de façon facilitée, il n’en existe qu’une en Suisse, dans le nettoyage en Suisse alémanique.

Comme pour les faux indépendants, le Conseil fédéral entend limiter fortement les possibilités de sanction puisque l’amende en cas d’infraction de ces salaires déjà honteusement bas sera de 5000 francs au maximum.

Cache-sexe du dumping salarial

Ces quelques mesures proposées par le Conseil fédéral montrent avant tout l’absence de réelles mesures pour lutter contre la sous-enchère salariale et l’absence de volonté politique d’améliorer la protection des travailleurs dans ce pays.

Comment expliquer sinon autrement le très faible nombre de contrat type de travail en Suisse? N’existe-t-il en Suisse du dumping salarial que dans l’économie domestique? Dans la réalité, dans de nombreux cantons, l’Etat et les associations patronales ont refusé d’édicter de tels contrats, une opposition à toute amélioration dans la protection des salariés qui se retrouvent dans la pauvreté des changements actuellement proposés.

Il est ainsi proposé d’arrêter les travaux en cas de fausse indépendance mais pas en cas de sous-enchère. Rien n’est proposé pour lutter contre la sous-traitance en cascade quand bien même certains pays européens (Autriche) ont introduit un principe de solidarité qui lie l’employeur principal à ses sous-traitants en cas de sous-enchère. Les amendes restent ridicules et les contrôles ne sont nullement augmentés de sorte qu’il restera toujours plus avantageux de ne pas respecter les règles.

Dans un tel contexte, les fameuses mesures d’accompagnement, même «améliorées» dans leur dernière version telle que proposée par le Conseil fédéral, ne sont au mieux qu’un cache-sexe du dumping salarial organisé à l’échelle européenne selon les besoins du patronat.

Les ouvriers du chantier de la banlieue de Genève n’ont rien à attendre de ces nouvelles mesures d’accompagnement: elles ne leur apportent rien. Face à la dérégulation du marché du travail et la mise en concurrence exacerbée des salariés, le mouvement syndical se doit d’avancer avec ses propres revendications (p. ex. l’initiative cantonale genevoise sur l’inspection des entreprises). Toutefois, l’ensemble des revendications du mouvement syndical ne saurait avoir de sens et aspirer à un avenir que si elles sont portées dans des mobilisations unitaires qu’il reste à fixer dans l’agenda.

Il y a bientôt un siècle, les salariés de ce pays se mettaient en grève pour obtenir la journée de travail de 8h00: la dernière grève générale qu’ait connu la Suisse. A quand une large mobilisation unitaire contre le dumping salarial?

Joël Varone