Mexique

Mexique : Le périple incertain des migrants

Provenant du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua ou encore du Salvador, des milliers de migrants tentent chaque année de rejoindre les États-Unis en traversant le Mexique, affrontant mille dangers et y laissant quelquefois leur vie.

Ils semblent être toujours plus nombreux ceux qui, pour tenter d’échapper à la misère, décident de risquer le tout pour le tout. Femmes, hommes, seuls ou avec enfants, adolescents, tous sont attirés par la perspective d’une vie qu’ils pensent meilleure au nord. S’ils parviennent à rejoindre le géant du nord, ils seront les soutiens des leurs restés au pays. Avant de parvenir jusqu’à la frontière chaque jour plus militarisée de la superpuissance, ils devront traverser le Mexique du sud au nord au cours d’un voyage à l’issue incertaine. C’est donc par milliers que ces damnés de la terre, pauvres parmi les pauvres ne possédant parfois que ce qu’ils portent sur eux, s’accrochent à « la bestia », la bête de fer, le train de marchandises qui traverse le pays de part en part. Au nombre des dangers qu’ils devront affronter figurent bien sûr la faim et la soif, le froid et la chaleur extrême, l’épuisement physique qui peut provoquer des accidents fatals. Ces derniers ne sont cependant pas les plus redoutables.

 

Bandes criminelles et autorités en embuscade

Le père Alejandro Solalinde, qui dirige la Casa del Migrante «Hermanos en el Camino», a passé une bonne partie de ses trente-cinq années de prêtrise à la défense des migrants. Si le refuge qu’il dirige, situé dans la municipalité d’Ixtepec, État d’Oaxaca, se trouve à 400 kilomètres au sud de la capitale de l’État, il n’est en revanche qu’à vingt mètres des voies de chemin de fer qu’emprunte « la bestia ». Les migrants de passage peuvent y trouver nourriture et vêtements, prendre un bain et dormir avant de poursuivre leur route. Plus de quatre cents peuvent passer quotidiennement. Le père Solalinde sait donc de quoi il parle lorsqu’il dénonce la collusion entre les bandes criminelles, les autorités locales et les fonctionnaires de l’Institut National de Migration (INM), qui voient une véritable mine d’or dans ces personnes vulnérables à l’extrême. Les vols, enlèvements avec demande de rançon aux familles, les viols et les exécutions font partie du quotidien. Le « commerce de l’enlèvement » rapporterait près de 50 millions de dollars par an dans les États de passage obligé que sont Veracruz et Tamaulipas. L’enlèvement et l’assassinat, le 25 août 2011, de 72 migrants dans l’État de Tamaulipas, qui refusèrent d’être recrutés comme main d’œuvre par le crime organisé, serait loin d’être un cas isolé et la majorité de ces cas d’enlèvement de masse resteraient dans l’ombre. Au cours des dernières années, le père Solalinde a déposé de nombreuses plaintes pénales, devant les autorités locales ou fédérales, contre des policiers municipaux ou des fonctionnaires de l’INM, pour enlèvement, vols et viols. Bien que dans certains cas le nom des coupables ait été connu de tous, l’impunité a toujours été la règle. Comme on l’imagine, les menaces à l’encontre du père Solalinde et de ses collaborateurs ont été nombreuses. A ce jour, le crime organisé et leurs complices n’ont pas réussi à faire taire cette voix. En date du 23 avril 2009, la Commission interaméricaine des Droits Humains (CIDH) a exigé que des mesures de protection soient prises pour préserver la vie du père Solalinde et celle de ses collaborateurs.

 

Que font les autorités fédérales ?

Les campagnes publicitaires tapageuses vantant les avancées des droits des migrants ne parviennent pas à occulter la réalité. Et comme si l’incapacité gouvernementale à protéger les Centreaméricains qui traversent le territoire n’était pas suffisante, les autorités ont violemment expulsé, le 9 janvier dernier, 250 réfugiés guatémaltèques qui occupaient un terrain communal dans l’État de Tabasco. Selon le témoignage de frère Tomás González, qui dirige le Centre des Droits Humains d’Usumacinta, près de 300 éléments de la Police fédérale préventive (PFP) et de l’INM sont intervenus pour déloger les familles et détruire leur campement de fortune. Pendant l’opération, 71 réfugiés ont été faits prisonniers, alors que près de 180 d’entre eux parvenaient à s’échapper. De nombreux témoignages ont fait état de violence, et l’une des tactiques employées a été de capturer les enfants pour forcer les parents à se rendre. Ces déplacés étaient en attente d’une réinstallation au Guatemala après avoir été déjà expulsés par l’armée guatémaltèque, en août dernier, d’un territoire qu’ils occupaient dans le département du Petén. De nombreuses organisations de droits humains ont demandé au gouvernement mexicain de ne pas expulser les 71 réfugiés faits prisonniers durant l’opération, leur sécurité ne pouvant être garantie en cas de retour forcé au Guatemala. De plus, ces derniers craignent un durcissement de la ligne militariste du gouvernement guatémaltèque après l’entrée en fonction du nouveau président, Otto Pérez Molina, un général à la retraite, spécialiste de la lutte contre-insurrectionnelle, qui est accusé de graves violations des droits humains pendant la guerre civile (1960-1996). Au lendemain de l’opération de la PFP, 150 déplacés, soutenus par plusieurs organisations, ont réoccupé le terrain dont ils avaient été expulsés la veille, afin de réclamer que le Mexique remplisse son devoir humanitaire. Ce dernier exemple illustre parfaitement la situation actuelle, celle d’une grave décomposition sociale combinée à une violence qui s’exerce à l’endroit des plus vulnérables.. 

 

Héctor Márquez

correspondant de solidaritéS au Mexique