Dumping salarial et brouillard xénophobe
Comparaison n’est pas raison. Et pourtant, ces dernières semaines ont vu se multiplier les propositions politiques en lien avec la pression sans cesse croissante que doivent subir les salarié·e·s sur leur lieu de travail. Petit tour d’horizon.
Les syndicats de l’Union syndicale suisse (USS) déposaient leur initiative pour un salaire minimum à 4 000 francs le 23 janvier dernier avec 111 000 signatures récoltées en douze mois.
Quelques semaines plus tard, le 10 février, c’était au tour des syndicats genevois de déposer leur initiative cantonale pour un renforcement du contrôle des entreprises avec quelques 13 000 signatures gagnées en quatre mois.
Le 14 février, avec 136 195 signatures récoltées en sept mois, l’Union démocratique du centre (UDC) faisait aboutir son initiative « contre l’immigration de masse » visant à réintroduire des plafonds quant à l’octroi des autorisations de séjour des étrangers-ères et introduisant le principe d’une préférence nationale à l’embauche.
Le lendemain, profitant de l’effet d’annonce, la Tribune de Genève relatait la décision du directeur de l’Hôpital universitaire du canton (HUG) de « rétablir un équilibre » entre frontaliers-ères et résident·e·s genevois aux postes de responsable d’unités de soins. Une thématique déjà avancée depuis le printemps notamment par le conseiller d’Etat genevois François Longchamp qui entend établir le principe d’une préférence cantonale à l’embauche dans le secteur public comme, à terme, dans le privé.
Ecran de fumée tenace
Limitation de l’immigration, préférence nationale,… autant de thématiques reprises jusque dans les rangs du Parti socialiste suisse qui a vu son président, l’ancien syndicaliste Christian Levrat, évoquer cette piste en tout début d’année pour répondre au dumping salarial. Un chemin emprunté aussi à Genève par un Alberto Velasco (ancien député) soucieux du chômage endémique frappant le canton.
L’écran de fumée de ses propositions xénophobes, tendant à faire des étranger·e·s les responsables de tous les maux (pensons par exemple à l’argumentaire de l’initiative de l’UDC : « de plus en plus de personnes affluent en Suisse avec les conséquences graves que l’on sait pour le marché du travail, les salaires, les loyers, les prix du sol, les moyens de transport, l’énergie, l’environnement, les écoles, la santé publique et les institutions sociales ») est pour le moins épais et tenace.
Si Economiesuisse, le think tank du patronat helvétique, condamne l’initiative de l’UDC au nom de son inutilité (la Suisse ayant déjà une politique utilitariste de sa main-d’œuvre étrangère) et de son caractère étatique (l’Etat n’a pas à se mêler des critères d’embauche des entreprises qui doivent rester libres d’engager qui elles entendent… et au prix qu’elles veulent), certains patrons, à l’instar du directeur des HUG, ont bien saisi le potentiel explosif pour les organisations syndicales de telles propositions.
Le syndicat des services publics genevois ne se trompe guère quand il avance : « Et puis ne soyons pas naïf. Les déclarations fracassantes de M. Gruson visent également à diviser un personnel qui a su récemment se montrer sans doute trop solidaire et revendicatif aux yeux du directeur. » La déclaration de Bernard Gruson intervient en effet non seulement au lendemain du dépôt de l’initiative de l’UDC mais après des vagues de grève dans l’établissement hospitalier qui ont vu s’unir les salarié·e·s indépendamment de leur lieu de résidence.
Quelles réponses ?
On ne peut dès lors que regretter les hésitations du monde syndical face à l’offensive des milieux populistes (œuvrant en faveur des intérêts patronaux). Certes l’initiative pour un salaire à 4 000 francs répond à une nécessité de contrer les abus les plus scandaleux. Toutefois, cette initiative ne touche réellement que 20 % des salarié·e·s. Elle ne saurait être la seule réponse contre le dumping salarial. Au moins, elle devrait être couplée avec un renforcement du contrôle des entreprises, mais l’initiative genevoise est pour l’instant restée sans écho à l’échelle nationale.
A ce manque de propositions s’ajoute cruellement une absence de réaction contre les initiatives populistes. Aucune contre-campagne n’est ainsi à l’ordre du jour. Il serait pourtant aisé de renverser tout le discours sur les abus contre le patronat et les actionnaires qui s’en mettent plein les poches. De re-canaliser le mécontentement objectif des classes salariées égarées dans la xénophobie vers une colère de classe.
Manque aussi enfin et surtout un agenda de mobilisation. Car ce n’est pas qu’au niveau des idées que l’on peut battre la xénophobie comme le dumping salarial. C’est sur le terrain, dans la rue et dans les entreprises. Les syndicats genevois ont ainsi formulé la demande, logique, à l’Union syndicale suisse de ré-organiser une grande manifestation nationale contre le dumping salarial cet automne.
Le mouvement syndical suisse se trouve donc face à la nécessité de répondre politiquement à la hauteur des attaques patronales. Cette réponse passe par l’acceptation d’un affrontement avec le patronat, au risque de heurter les discours de paix du travail et de partenariat social basés sur l’amélioration des conditions cadres pour les entreprises qui, comme le montrent les récents exemples, passent systématiquement par la dégradation des conditions de travail des salarié·e·s.
Joël Varone