Bahreïn, ou la révolution qui ne restera pas silencieuse

L’expression « business as usual » reflète bien la volonté du monde entier, des autorités du Bahreïn, aux gouvernements occidentaux, en passant par les médias internationaux comme Al Jazeera et, enfin, les pays du Golfe et de la région, de cacher  la situation de soulèvement populaire au Bahreïn.

Le Grand Prix (GP) de Formule 1, confirmé par la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) et son chef Bernie Ecclestone confirme ce sentiment. Ils ont déclaré que la décision de réintégrer le GP annulé l’an dernier en raison des manifestations dans le pays «reflète l’esprit de réconciliation à Bahreïn». Les dirigeants du Bahreïn ont en effet essayé de présenter le GP 2012, du 20 au 22 Avril, comme faisant partie du processus de réconciliation nationale sous le slogan «Unifiée : une nation dans la célébration».

            Ces discours et le GP avaient pour objectif de « démontrer » que le soulèvement populaire Bahreïn était du passé. La réalité est néanmoins totalement différente. Le soulèvement qui a commencé l’an dernier n’a jamais vraiment cessé, malgré la répression et les soi-disant ouvertures ou compromis du régime envers l’opposition. Les manifestations et les différentes actions de protestations continuent sur une base presque quotidienne à travers l’île.

            L’opposition au régime n’a pas pris fin. Le 9 mars, une manifestation honorant les martyrs du soulèvement de mars 1965 s’est transformé en un grand rassemblement et une vaste marche contre le régime des Al Khalifa. Plus de 500 000 personnes ont manifesté et brandissaient des pancartes où l’on pouvait lire : « Pas de dialogue avec les assassins », « Non à la dictature » et « Non au sectarisme ». Durant cette même semaine, la Coalition des Jeunes du 14 Février, un groupe qui joue un rôle important dans le soulèvement populaire, a désigné cette période « Semaine nationale de résistance contre l’occupant » pour commémorer l’intervention militaire mené par l’Arabie Saoudite dans le pays le 14 Mars 2011, afin d’écraser le mouvement populaire, avec l’aide des forces de sécurité du Bahreïn.

 

Manifestations quotidiennes

Cette Coalition des Jeunes du 14 Février et diverses autres organisations populaires ont également organisé des manifs quasi quotidiennes visant la course de Formule 1 prévue pour le 22 Avril. Ils ont appelé à « trois jours de colère » de vendredi à dimanche (20-22 avril), dans le but d’entraver le GP. Des organisations Internationales, des groupes de droits humains locaux et des organisations politiques ont aussi lancé un certain nombre de campagnes populaires, afin de pousser des équipes de Formule 1 à boycotter le GP.

            Par ailleurs, la répression se poursuit, les activistes continuent d’être torturés et les dissidents soupçonnés par la police sont toujours tirés de leurs foyers au milieu de la nuit, sans mandat bien sûr. Les forces de sécurité tirent toujours plus de gaz lacrymogènes sur les ma­ni­festant·e·s et dans les villages sympathisant avec l’opposition. Les deux-tiers de décès liés à cette arme sont d’ailleurs survenus depuis novembre. Sur les 25 personnes tuées par inhalation de gaz lacrymogène pendant les révoltes, 18 d’entre elles sont décédées après cette date.

            En novembre dernier, près de 3000 travailleurs dans les secteurs publics et privés avaient été licenciés en raison de leur participation au mouvement populaire. De nombreux dirigeants de divers syndicats ont été la cible du régime et ont été emprisonnés. Selon la Fédération générale des syndicats de Bahreïn seuls 134 travailleurs ont été réintégrés après novembre. Beaucoup de ces travailleurs ont d’ailleurs dû accepter des conditions inacceptables voire illégales. Les conditions posées pour retrouver leur emploi comprenaient en effet de s’engager à ne prendre part à aucune activité politique future, la renonciation au droit de participer à des poursuites judiciaires contre le gouvernement et l’engagement de ne pas rejoindre leur ancien syndicat.

            Pour rappel encore, depuis le début du soulèvement de Bahreïn en 2011, plus de 80 civils sont morts et de 1600 à 4000 manifestants ont été arrêtés!

 

Collaboration des gouvernements occidentaux à la répression

Le Bahreïn revêt une importance particulière pour les Occidentaux et les USA particulièrement pour la 5e Flotte de l’US Navy. Washington y considère en effet sa base militaire comme le principal contrepoids militaire aux efforts présumé de l’Iran pour développer ses forces armées et menacer le Golfe.

            Ainsi les puissances occidentales ne sont pas seulement silencieuses face à la répression du régime contre le mouvement populaire, mais y participent de manière directe ou indirecte. Le gaz lacrymogène utilisé par les forces de sécurité provient des USA. Le Bahreïn importe également des armes du Royaume-Uni et l’ex-commissaire adjoint de la police métropolitaine de Londres, John Yates, fournit des conseils aux dirigeants du Bahreïn. Le gouvernement Britannique a en effet vendu des armes pour plus d’un million de livres sterling aux autorités du Bahreïn depuis le début du soulèvement en mars 2011.

            Le régime des Al Khalifa a également dépensé des millions pour améliorer son image ternie à la suite des troubles importants l’an dernier, en particulier par le biais d’entreprises de relations publiques basées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, pays avec lesquels le régime a des liens étroits diplomatiques, militaires et commerciaux. Aucun des gouvernements occidentaux n’ont bien sûr appelé à un changement de régime ou n’ont menacé celui-ci de sanctions.

 

Symbole de la résistance

La grève de la faim de l’opposant et défenseur des Droits Humains Al Khawaja, qui dure depuis plus de 70 jours, est un symbole de cette résistance du peuple bahreïni face au silence des médias internationaux et de la collaboration des gouvernements occidentaux dans la répression contre le mouvement populaire. Al Khawja a d’ailleurs déclaré que pour lui le choix est le suivant : la liberté ou la mort ! Le peuple de Bahrain ne se taira pas et ne se soumettra pas ! Vive la lutte du peuple du Bahrain !

 

Joseph Daher