Tunisie

Tunisie : Le bassin minier de Gafsa et l'avenir de la révolution

 Vendredi 4 mai, la commission internationale de solidaritéS avait invité l’un des principaux leaders syndicaux du bassin minier tunisien de Gafsa, Adnen Haji, à présenter la mobilisation en cours dans le sud-ouest du pays. Nous restituons ici l’essentiel de ses propos.

Les grèves de 2008, qui ont ébranlé cette région pendant près de six mois, ont ouvert le chemin de la révolution tunisienne. Aujourd’hui, le conflit en cours pourrait favoriser l’émergence d’un pôle social et politique ouvrier à l’échelle du pays, capable de résister à la confiscation de la révolution par les islamistes d’Ennahda et par les partisans de l’ancien régime de Ben Ali.

 

Le centre de gravité du mouvement ouvrier tunisien

Dans le Sud-ouest tunisien, à 350 km de la capitale, la Compagnie des phosphates de Gafsa (CFG) est, depuis l’indépendance de 1956, la principale source de vie des habitant·e·s des quatre villes minières de Redeyef, Moularès, Mdhila et Métlaoui (aujourd’hui 150 000 à 160 000 personnes en tout). L’exploitation des gisements à ciel ouvert occupe quelque 5000 travailleurs, contre 15 000 à 20 000 au début des années 80. Et pourtant, la production est aujourd’hui supérieure.

     La région a toujours été le poumon du mouvement ouvrier tunisien, des mobilisations contre Bourguiba des années 1970 aux premières protestations contre le putsch de Ben Ali, en 1987. Dès lors, la région minière est devenue le pôle de l’opposition ouvrière à la dictature et à la corruption du régime du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). En janvier 2008, un mouvement de protestation embrasait tout le bassin pendant des mois. En juin, les autorités ouvraient le feu, faisant plusieurs morts et des dizaines de blessés. De nombreux militant·e·s, dont Adnen Haji, ont été arrêtés et condamnés à de longues peines de prison.

     Il faut dire que la situation sociale est pire aujourd’hui que durant la période coloniale. Le taux de chômage est de 20 à 25 %, la pollution de l’air et des nappes d’eau souterraines est aussi de plus en plus grave. En raison du rejet de 40 millions de m3 d’eaux usées par an (5 tonnes d’eau pour 1 tonne de phosphate) contenant des agents chimiques pour le lavage du minerai, on observe une hausse inquiétante des taux de cancer, de maladies des reins, d’affections des voies respiratoires, de la bouche, des dents, des yeux, etc.

 

Des enjeux vitaux pour toute la région

L’exploitation de nappes d’eau fossiles profondes (non renouvelables) met en danger l’approvisionnement de cette région aride, alors qu’il serait possible, moyennant des investissements raisonnables, de pomper de l’eau de mer – à 150 km de là – pour l’usage industriel. Mais il faudrait avant tout songer à investir une partie des revenus de l’exploitation du phosphate pour diversifier les activités économiques de Gafsa, notamment en faveur de l’agriculture.

     Avant le 14 janvier 2011, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) était le seul soutien des mobilisations des salarié·e·s et des habitant·e·s de la région, en dépit de la corruption d’une partie de l’appareil syndical. Aujourd’hui, la marge de manœuvre des protestataires est accrue, mais c’est toujours l’UGTT qui sert de cadre organisationnel au mouvement. En décembre 2011, le congrès de la centrale syndicale a ainsi décidé d’apporter son appui aux luttes de la région et de soutenir les actions des chômeurs et chômeuses.

 

L’avenir de la révolution

Depuis la révolution de 2010-2011, même si sa tête est tombée, le régime est fondamentalement resté en place. Le RCD continue à gouverner le pays au quotidien. Sur le plan social, rien n’a changé. Pire, la situation s’est même sérieusement dégradée. Certes, les islamistes d’Ennahda ont gagné les élections, mais avec un taux d’abstention de 54 %. En réalité, ils assurent la pérennité d’un système social qui profite exclusivement à la bourgeoisie tunisienne et à l’impérialisme étranger. Il importe au contraire aujourd’hui de créer un mouvement social et politique d’opposition indépendant, issu du monde du travail.

     Un tel mouvement ne devrait pas se préoccuper exclusivement des prochaines élections de 2013, mais plutôt favoriser l’unification dans la lutte du mouvement des salarié·e·s, des chômeurs et chômeuses et des secteurs les plus mobilisés de la société civile – notamment des femmes –autour d’un programme social et démocratique qui contribue à rassembler un troisième pôle sociopolitique, face à l’alternative entre islamistes et libéraux, héritiers du RCD. Les militant·e·s de base et les cadres intermédiaires de l’UGTT ne pourraient-ils pas jouer un rôle moteur pour favoriser un tel processus ? 

 

Jean Batou


Gafsa en lutte

Le 2 mai dernier, l’extraction, la production, mais aussi les activités administratives de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) étaient paralysées par des sit-in. Les villes de la région connaissent en effet un important mouvement de protestation depuis le 30 avril, à la suite de l’annonce des résultats d’un concours d’embauche qui a vu 1700 candidatures rejetées sur 2700. Les protestataires contestent ces décisions et ont établi des campements qui bloquent les communications.