Les banques suisses livrent employé-e-s pour sauver leur peau

 

Dans le contexte d’un affaiblissement général de la position de la place financière suisse vis-à-vis des Etats-Unis, les banques, avec l’assentiment du Conseil fédéral, se défaussent sur leurs employés et fournissent leurs noms aux autorités américaines.

 

Interrogé récemment pour savoir si les employé.e.s de sa banque dont les noms avaient été fournis au fisc américain en avaient été informés, le patron de Crédit Suisse, Brady Dougan, répondait que « s’il fallait prévenir tout le monde, il s’agirait de milliers de personnes. Si certains employés se posent la question de savoir s’ils sont mentionnés dans ces documents, ils peuvent se renseigner» (Le Temps, 21 juillet 2012). Il est clair qu’à 5,8 millions de francs en 2011 (12,8 en 2010), le temps de monsieur Dougan est compté. Il est également probable que vu de l’immeuble cossu du Crédit Suisse sur la Paradeplatz zurichoise, les noms de ces « milliers de personnes » n’aient pas beaucoup d’importance. De plus, comme le dit notre banquier avec suffisance, avoir transmis les noms de ces employé·e·s est «mieux pour eux». Car selon Dougan, «un employé qui a suivi les règles ne devrait pas s’inquiéter» (Le Temps, 21 Juillet 2012). Sachant l’interprétation que les banques suisses ont donné à ces « règles », érigeant leur contournement systématique en modèle d’affaires, on comprend que l’ambiance dans les banques se soit un peu détériorée ces derniers temps.

 

 

La place financière suisse se défausse sur ses employé·e·s

La banque de monsieur Dougan n’est pas la seule à avoir agi de la sorte. On sait ainsi qu’au minimum Julius Bär, les banques cantonales de Zurich et de Bâle ainsi qu’HSBC ont fait de même. Julius Bär aurait ainsi livré 2500 noms et HSBC 1100. En tout, il s’agirait de plus de 10 000 personnes : employé·e·s, ex employé·e·s et expert·e·s externes (gestionnaires ou avocat.e.s) qui figuraient sur les documents fournis. Le mécontentement des employé·e·s de banques s’exprime notamment à travers l’Association suisse des employés de banque (ASEB), qui « constate que les conflits fiscaux entre la Suisse et plusieurs pays ont eu des conséquences très négatives pour les employé.e.s de banque. Les vols de données, les dénonciations de clients mais surtout la livraison par les banques de données de milliers de collaborateurs aux USA avec l’assentiment des autorités fédérales ont fortement désécurisé le personnel bancaire». Face à cette situation, l’Association « exige que les négociations accordent une haute priorité à la protection des collaborateurs et que les accords fixent le sort de ces données» (Résolution de l’ASEB, 22 juin 2012). C’est que les conséquences pour les employé.e.s de banque dénoncés peuvent être importantes : d’un interrogatoire prolongé à un poste frontière à de sérieuses difficultés pour retrouver un emploi dans la branche.

 

Un arbitrage au profit des banques

Cet épisode trahit une fois de plus le fait que face aux menaces, c’est bien l’intérêt des banques et du capital qui passe en premier, y compris au Conseil fédéral, qui a autorisé les banques à transmettre ces données. Ainsi, si certains employé·e·s s’inquiètent, les affaires ne s’arrêtent pas. Alors que Julius Bär se défausse sur ses employé.e.s, la banque rachète les activités de gestion de fortune internationale de l’ancienne Merrill Lynch et annonce la conclusion d’un partenariat avec Bank of China pour renforcer sa position dans la gestion de fortune. De même pour HSBC, qui annonce un bénéfice de 8,44 milliards de dollars au premier semestre 2012. On commence à s’habituer à ce que la valorisation du capital côtoie dans les colonnes des journaux la détresse humaine, mais le contraste demeure saisissant.

 

Un compromis historique qui peut être remis en cause

La réaction de l’ASEB, jusque-là très polie et mesurée, rappelle que les employé.e.s de banques comptent parmi les segments des travailleurs.euses les plus mesurés de Suisse. On sait cependant moins qu’une centaine d’année en arrière, en 1918, se déroulait une grande grève des employé·e·s de banques zurichois dans le contexte des tensions sociales extrêmes de l’après Première Guerre mondiale. On oublie surtout qu’à cette occasion, les employé·e·s de banques très combatifs, allant jusqu’à séquestrer le prédécesseur de Brady Dougan, obtenaient des augmentations de salaires très importantes et de meilleures conditions de travail, donnant pour longtemps aux employé·e·s, notamment ceux des banques, un statut et des conditions privilégiés par rapport aux ouvriers. Cependant, en 1918 comme en 2012, la rentabilité des banques passe avant leurs employé·e·s. Le compromis historique qui lie les employés aux directions des banques n’est, cependant, pas gravé dans le marbre…