De quelle société la détention administrative est-elle le nom?

La détention administrative permet de priver de liberté une personne dans l’attente de son renvoi de Suisse, sans que celle-ci ait forcément commis d’infraction pénale. La Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) prévoit une détention administrative pouvant aller jusqu’à 18 mois pour les adultes et 9 mois pour les mineur·e·s. L’Office fédéral des migrations dit ne pas pouvoir préciser le nombre de centres de détention administrative existant en Suisse, comme celui de Frambois, l’exécution des renvois étant de compétence cantonale ! 27 centres ont en tout cas été recensés. Le gouvernement genevois vient d’annoncer la création, à court terme, de 60 nouvelles places de détention administrative et, pour 2017, de 168 nouvelles places, sans parler de 50 places à créer dans le nouveau bâtiment de sécurité internationale sur le site de l’aéroport.

Dans l’Union européenne (UE), le réseau Migreurop a dénombré 420 lieux d’enfermement, pour une capacité totale connue de 37 000 places. En 2009, 600 000 personnes «sans-papiers» ont été enfermé·e·s au sein de l’UE pour être expulsé·e·s et 500 000 ont été détenu·e·s à leur arrivée sur le territoire d’un Etat européen dans l’attente d’être refoulé·e·s. Des chiffres qui font froid dans le dos… et qui ne rendent, pourtant, que très partiellement compte de la réalité de l’enfermement, car les autorités ont recours à une multitude de lieux ne figurant pas sur les listes « officielles » (prisons de droit commun, locaux aéroportuaires notamment). L’opacité des procédures, les difficultés ou le défaut d’accès à une aide juridique et à une assistance médicale, les traitements inhumains et dégradants, les conditions matérielles de détention indignes, tel est le quotidien de ces camps pour étrangers du 21e siècle.

La privation de liberté devient un outil de gestion de la misère, comme elle l’a été, il n’y a pas très longtemps, à l’encontre des «vagabonds» ou des «sans abris». La personne étrangère, détenue, n’est plus un sujet de droit qui bénéficie de garanties, liées au respect des droits fondamentaux: elle est considérée comme un objet, susceptible d’être géré comme un stock de marchandise.

La politique de «chasse aux abus» en matière d’asile, justifiant toutes les mesures restrictives introduites dans la loi, fait tache d’huile. Elle sert de couverture à une politique d’attaques aux droits sociaux, notamment en matière d’assurance-invalidité ou d’assurance-chômage, ainsi qu’aux libertés démocratiques. La politique migratoire est ainsi devenue un véritable laboratoire, qui conduit à faire accepter une violence sociale étatique accrue : l’exemple de l’aide d’urgence pour les requérant·e·s d’asile débouté.e.s est tout à fait significatif. Du droit constitutionnel à un minimum vital, destiné à protéger chaque individu et posant des obligations à charge de l’Etat, on en est arrivé à une mesure de contrainte étatique broyant ces mêmes individus dans l’espoir de les faire partir, ou à tout le moins, de les pousser hors des statistiques officielles. Là où ce jeu devient sinistre, c’est que ces mesures n’ont même pas démontré leur efficacité, s’agissant de l’objectif recherché: nombre de personnes se trouvent toujours en Suisse, à l’aide d’urgence, depuis plusieurs années !

De même, en matière de liberté d’aller et venir, les assignations à un lieu de résidence ainsi que les interdictions de pénétrer dans une région déterminée (art.74 LEtr) visaient d’abord à restreindre la liberté de déplacement de l’étranger. ère en situation irrégulière ; elles peuvent concerner aujourd’hui toute personne dont le comportement est susceptible de créer un trouble à l’ordre ou à la tranquillité publique! Cet arbitraire se déploie sur la toile de fond formée par les bouleversements qui ont ébranlé l’Afrique du nord en 2011, entraînant un déracinement d’une partie de la population de cette région. La situation des migrant·e·s, sans-papiers ou requérant·e·s d’asile, en Suisse comme dans les pays de l’UE, ressemble à celle des paysans à la fin du 15e siècle en Angleterre, chassés de leur terre et contraints à la tyrannie du salariat ou aux galères. Elle est décrite magistralement par un certain Karl Marx, dans la section 8 du livre I du Capital, qui relevait notamment que la législation de l’époque les «traita en criminels volontaires».

Le cynisme de cette politique de fabrication de parias est frappant: la crise du logement est, par exemple, mise sur le compte de l’immigration, plutôt que sur l’absence de toute politique publique de construction de logement à loyers abordables et sur la rapacité des propriétaires immobiliers! La machine de propagande visant à neutraliser d’emblée tout débat politique est parvenue à infiltrer les esprits d’une grande partie de la population. Le «sentiment d’insécurité», derrière lequel s’abrite lâchement l’establishment politique pour justifier ses méfaits, est pour une bonne part sa propre créature. L’atmosphère de couvre-feu permanent, régnant dans le domaine de l’asile et de la migration, est savamment entretenue par ces spécialistes en pyromanie. Le prétendu «afflux massif» actuel de réfugié·e·s a été fabriqué de toute pièce par le démantèlement des structures d’accueil opéré il y a quelques années. Les réactions xénophobe sont attisées par des politiciens, communaux ou cantonaux, qui tiennent l’entreposage de requérant·e·s d’asile pour à peine moins nuisible que celui de déchets nucléaires. Les uns comme les autres d’ailleurs enfouis en sous-sol….

Dans ce contexte, il est de notre devoir de faire entendre la voix d’une autre Suisse, celle de la solidarité et de la désobéissance civile, individuelle ou collective, contre la barbarie. Cette voix est faible pour faire face à la véritable guerre sociale que ceux d’en haut ont déclaré. Elle se liera à la protestation qui monte partout dans ce monde contre une société destructrice pour la majorité des femmes et des hommes, comme pour l’environnement.

Jean-Michel Dolivo