Mexique

Mexique : La situation nationale après le premier décembre

Le premier décembre vers minuit a débuté dans un Palais Présidentiel et un centre ville militarisés la cérémonie de passation de pouvoir entre Felipe Calderón et Enrique Peña Nieto (EPN). Mascarade démocratique reflétant le caractère frauduleux et usurpateur du nouveau régime.

A l’aube, les premiers affrontements entre groupes ultras et la police ont débuté autour du Parlement où le nouveau président allait prêter serment. Affrontement est un mauvais terme car à ce stade les forces de police ont juste encaissé les coups. C’est vers 7 h du matin, lorsque les premiers étudiants du mouvement «?Je suis le 132 » sont arrivés sur place, et alors que les groupes ultras se retiraient, qu’ordre fut donné à la police de riposter au lacrymogène et aux balles en caoutchouc, causant nombre de blessés dont deux graves.

Selon un scénario semblant bien réglé, la répression, à charge du Gouvernement fédéral et du Gouvernement « progressiste » de la capitale, qui a ainsi démontré son allégeance au régime, s’est abattue sur les manifestants pacifiques. Des images montrant des personnes habillées comme les ultras, circulant sans être inquiétées au milieu de policiers dans le périmètre interdit aux manifestant·e·s, indique la présence d’infiltrés provocateurs. Les personnes arrêtées l’ont été bien plus tard et loin du lieu des affrontements matinaux. Parmi elles, des images l’attestent aussi, des manifestant·e·s pacifiques et de nombreux passants du centre ville tombés dans les mailles du gros dispositif policier.

Le message du nouveau gouvernement était clair : ça aurait pu être vous… mieux vaut rester chez soi. Malgré la campagne de lynchage politico-médiatique des protestataires, un mouvement pour la libération des prisonniers et la poursuite des responsables des excès des forces de l’ordre a vu le jour et a obtenu la libération de tous les détenu·e·s. Certains ont été libérés faute de preuves, mais 14 d’entre eux l’ont été sous caution en attendant un procès où ils répondront de l’accusation politique, d’« attaque à la paix publique ».

 

Reflux du mouvement, mais sans déroute

Sans être massives, des manifestations de rejet de l’élection imposée d’EPN ont eu lieu dans nombre de villes. Le grand mouvement de la période préélectorale, visant à contrer un retour du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) au pouvoir et qui s’est transformé après l’élection de juillet en mouvement contre la fraude électorale et l’élection imposée d’EPN, est entré dans un reflux relatif, mais qui pourrait être temporaire.

Historiquement, le Mexique a vu des répressions massives et l’écrasement d’importants mouvements, suivis de longs reflux. Ce fut le cas du mouvement des cheminots des années 50, ou du mouvement étudiant de 68, écrasé dans le sang. Rien de tel cette fois. Malgré son aspect autoritaire et ses velléités répressives, le régime est face à un mouvement populaire qui, quoique fragmenté, a mené de nombreuses luttes et accumulé des forces importantes ces dernières années. L’affaiblissement de la Convention contre l’Election Imposée est d’abord dû au refus d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) de s’y associer et d’entamer une lutte sérieuse contre la fraude électorale. C’est donc au mouvement «?Je suis le 132 » qu’est échue cette bataille. AMLO est responsable d’avoir canalisé dans le labyrinthe institutionnel l’immense mouvement civique et populaire qu’a suscité sa candidature, empêchant l’épreuve de force avec le régime.

 

Nécessité d’une alternative politique

Le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), ayant trahi une première fois AMLO en 2006 en avalisant l’élection frauduleuse de Calderón (PAN), a récidivé, poussant sa logique au bout en signant un Pacte pour le Mexique avec le PRI et le PAN. Le PRD achève donc sa mutation, assumant sans fard l’agenda néolibéral et répressif de l’oligarchie.

Une part importante de la gauche institutionnelle ne voulant pas d’une candidature d’AMLO avait dû l’accepter à contrecœur grâce à la dynamique créée par le Mouvement pour la Régénération Nationale (MORENA), tout en l’entravant quand c’était possible. Après une série de congrès locaux et étatique, le Congrès National de MORENA s’est tenu en novembre à Mexico. Suite à un processus de consultation problématique du point de vue démocratique, il a décidé de lancer la procédure visant sa reconnaissance légale par l’Institut Fédéral électoral (IFE). Nombre de cadres du futur parti sont des proches d’AMLO, cooptés et non élus, au prétexte d’être des personnes « respectables ». Le Congrès National a eu lieu sans débat, le seul discours y fut celui d’AMLO.

Par sa composition pluriclassiste et son programme de conciliation d’intérêts fort opposés, MORENA ressemblera à un nouveau PRD. Ainsi la décision à mi-décembre de la Commission Exécutive Nationale (CEN) de l’Organisation Politique du Peuple et des Travailleurs (OPT) de tenter aussi d’obtenir sa reconnaissance légale est importante. L’OPT, qui a son origine dans la lutte du Syndicat Mexicain des Electriciens (SME), mais qui regroupe maintenant d’autres forces sociales est l’ossature possible d’un futur parti des travailleurs·euses (au sens large et pas juste de la classe ouvrière industrielle), doté d’un programme classiste de rupture avec le capitalisme.

L’OPT se lance ainsi dans cette dure bataille face aux conditions antidémocratiques des lois mexicaines. Un combat très important au moment où des secteurs populaires ayant participé à la campagne d’AMLO, déçus de ses renoncements et de l’orientation conciliatrice du futur parti MORENA, pourraient rallier un parti ancré dans les luttes de secteurs avancés de la classe ouvrière. La gauche socialiste et révolutionnaire doit prendre la mesure de la bataille et s’y investir, c’est l’occasion de voir une part de la classe ouvrière se détacher de la gauche social-libérale, sortir du giron du PRI et gagner son indépendance politique.

 

Héctor Márquez

Notre correspondant à Mexico