Théâtre

Théâtre : La fleur bleue au fusil

Le festival « Colonialisme et société marchande II » a lieu au théâtre 2.21 à Lausanne, du 12 février au 3 mars. On pourra y voir du théâtre, des films (en collaboration avec le CityClub  à Pully) et une expo, qui parleront tous de notre rapport à l’autre, aux autres, des rapports du Nord au Sud et de l’engagement. 

C’est la deuxième édition de ce festival dans ce théâtre qui combine magnifiquement art et résistance, avec une volonté de privilégier un accueil de qualité, un artisanat. Pour nous en parler, rencontre avec quatre femmes de théâtre de trois générations, avec des regards croisés sur «ce que créer veut dire», sur le rapport entre art et engagement.

 

 

Comment est née cette deuxième édition du festival?

Anne-Laure Sahy (coresponsable du 2.21)?: la première édition du festival avait été une édition plus courte, qu’on avait produite, ce qui est assez exceptionnel puisque le 2.21 n’a pas les moyens de produire des projets. L’envie de monter une seconde édition a toujours été vive, mais il aurait fallu que l’on puisse être de «vrais producteurs» pour pouvoir lancer des appels à projets, par exemple. Et puis il se trouve que Marielle est venue avec les deux textes qu’elle présente dans le cadre de ce festival et une captation vidéo d’un spectacle de Béninois qu’elle a rencontrés lors d’un de ses séjours en Afrique. Le projet nous plaisait beaucoup. Puis Marion Duval et Cédric Djédjé sont arrivés avec leurs créations qui s’intégraient tout à fait dans la ligne du festival, et on s’est dit qu’il fallait en profiter pour monter la deuxième édition. On a eu envie aussi de trouver des partenaires pour imaginer diverses propositions autour de ces spectacles. D’où l’expo, le ciné-club, les discussions et la collaboration avec le CityClub.

 

Est-ce qu’il y a aussi l’envie de montrer que le théâtre peut être politique et festif?

Anne-Laure?: oui tout à fait, car nous avons aussi l’envie de nous amuser un peu, les spectacles abordent de manière décalée des questions qui sont politiques. La dérision côtoiera la gravité des thèmes abordés. Il y a un membre de notre équipe qui va organiser un brunch colonial et un goûter société marchande, par exemple.

 

Il y a deux projets réunis sous le titre Nous qui sommes parti(e)s et qui sommes revenu(e)s et vous êtes présentes, Marielle et Chantal, sur les deux projets?

Marielle Pinsard (metteuse en scène)?: oui, c’est une lecture spectacle. La genèse de ces deux projets, c’est la rencontre avec Chantal.

Chantal Bianchi (metteuse en scène et comédienne)?: rencontre qui est un acte éminemment politique !

Marielle?: Parce que l’on est fondamentalement très différente l’une de l’autre. J’étais à l’époque en train d’écrire Pyrrus Hilton et j’ai vu Chantal à la télévision. Elle était interrogée sur le voyage qu’elle a fait il y a une vingtaine d’années au Nicaragua, où elle était partie avec une ONG et Maurice Demierre, son compagnon de l’époque, qui s’est fait tuer dans une embuscade. Et je l’écoutais parler de ses projets, de leurs espoirs et de ce qu’ils ont fait là-bas, et j’écrivais mon texte sur une bande de jeunes qui s’emmerdent et qui cherchent à échapper à leur destin… Et elle est venue voir la pièce et c’est ainsi que nous nous sommes rencontrées. 

Et ensuite, j’ai eu envie d’écrire quelque chose sur ce qu’est sa vie, à elle, maintenant. C’est intéressant de savoir comment on vit quand on a vécu des choses qui nous ont transformés, qui nous ont bougés, quand on a vu la mort pas loin. Où on se place quand on est suisse et qu’on voyage, quelle est la place au monde du Suisse? 

Chantal?:à l’époque, cela m’a beaucoup surpris que Marielle veuille écrire sur mon histoire, c’était une période difficile pour moi. Avec le recul, j’ai l’impression que ce travail qu’elle a fait sur mon histoire, sur mon retour en Suisse, m’a permis aussi de me repositionner. Je me suis interrogée sur ce qui fait qu’ici je ne fais pas de politique, je me suis requestionnée sur les choix que j’ai faits, des choix de vie. Juste survivre en ayant une parole de femme dans un monde artistique, avoir un chapiteau, faire du théâtre itinérant, ce qui est un choix politique aussi. Ce texte est d’elle, mais je me l’approprie, par une mise en abyme. Je suis très contente que l’on fasse un deuxième tour de cette lecture et que l’on aille aussi les deux faire un tour en Afrique avec les carnets de notes de Marielle. Comme on est deux, on intervient aussi dans l’histoire de l’autre, dans un rapport très ludique.

Marion Duval (comédienne, metteur en scène pour la compagnie Chris Cadillac)?: J’avais fait un solo ici, qui s’appelait Hello! à la sortie de la Manufacture (Haute école de théâtre de Suisse romande). Une petite fille victime de la misère et la guerre témoignait, racontait son quotidien. J’ai eu envie de le reprendre, de le prolonger, j’ai pensé qu’il lui faudrait une autre victime, la sienne, pour faire un duo. J’ai proposé à Cédric Djedje de venir jouer et à Aurélien Patouillard et Florian Leduc de collaborer. Mais, dans la discussion, le projet a complètement viré de bord. Il s’appelle maintenant Médecine générale. Il consiste en un traitement que nous avons développé pour soigner nos problèmes. Ce sont des problèmes, des maux qui mettent en jeu notre rapport à l’étranger et à notre propre communauté : le trop ou trop peu d’empathie, la mauvaise conscience, notre rapport aux victimes des pays du Sud. On se soigne par le jeu, les images mentales, la représentation.

 

Anne-Laure?: notre génération est arrivée après les utopies et face à tous ces problèmes qui paraissent insolubles, il reste deux options: abandonner ou tout au moins se confronter. Ces projets ressemblent à cela: je ne vais pas vous offrir de solution toute faite, mais en revanche je me propose de faire face et advienne que pourra ! 

 

Propos recueillis par Anne Papilloud

 

Toutes les infos : www.theatre221.ch