Votations sur le voile au Tessin

Votations sur le voile au Tessin : La burqa, un prétexte à l'islamophobie et à la stigmatisation

L’initiative « Interdiction de la dissimulation du visage dans les lieux publics », lancée dans le canton du Tessin par le mouvement « Trouble-fête » (« Il Guastafeste ») et soutenue ouvertement par la Lega tessinoise et l’UDC, avait officiellement pour objet l’interdiction de dissimuler ou de cacher son visage sur la voie publique, dans les endroits ouverts au public ou destinés à offrir un service public, à l’exception des lieux de cultes. En réalité, elle visait en premier lieu à interdire le port du voile intégral (burqa) et à relancer les attaques contre la communauté musulmane en Suisse. Le 22 septembre, elle a été acceptée avec plus de 65 ?% des suffrages.

 

L'animateur du mouvement Giorgio Ghiringhelli n’a jamais caché le fait que l’initiative visait les voiles musulmans. En prohibant le port du voile, le Tessin suit l’exemple de la France et de la Belgique. Cette interdiction se trouve de plus inscrite dans la constitution, ce qui fait que seule une votation populaire pourra désormais l’en retirer.

S’il ne concerne pour le moment que le canton du Tessin, l’objet fait déjà débat au plan national. L’Assemblée fédérale aura du reste à s’en saisir puisqu’elle devra décider si elle donnera ou non la garantie fédérale à la modification de la constitution tessinoise.

L’UDC et la droite populiste en général ont profité des résultats de ces votations pour justifier et renforcer leur discours xénophobes et islamophobes. L’actuel président de la Confédération et membre de l’UDC, Ueli Maurer, a d’ailleurs déclaré que «le résultat montre un certain malaise de la population, comme celui perçu lors de la votation pour l’interdiction des minarets».

 

Une islamophobie médiatisée et violente

Cette votation doit être située dans une campagne permanente et toujours plus stigmatisante contre les étran­ger·e·s et en particulier contre la communauté musulmane suisse et étrangère, cible de la grande majorité des attaques. Elle fait, en effet, suite à l’utilisation par les jeunes UDC lucernois de l’image d’une femme voilée menaçant un enfant sur une affiche en lien avec un vote relatif à l’enseignement des langues à l’école, tandis qu’en Europe les campagnes islamophobes occupent une place toujours plus importante dans les médias et s’expriment par une violence physique croissante. C’est notamment le cas en France où l’Observatoire contre l’islamophobie a annoncé en juillet que les actions et menaces islamophobes ont enregistré une hausse globale de 35 % au premier semestre 2013 en France, avec notamment l’apparition d’un phénomène en forte augmentation : les agressions physiques ciblant les femmes portant un foulard.

La cause des femmes instrumentalisée 

Les partis populistes d’extrême droite en Suisse et ailleurs ne cessent d’instrumentaliser la question de l’émancipation des femmes dans leurs campagnes contre les étrangers et la communauté musulmane en particulier. Ceci alors même qu’ils promeuvent des politiques conservatrices, antisociales et néolibérales qui affectent en premier lieu les femmes et les poussent dans la précarité.

Ce sont ainsi la droite populiste et l’extrême droite qui s’opposent aujourd’hui au droit à l’avortement pour toutes les femmes habitants en Suisse par le lancement de l’initiative populaire «Financer l’avortement est une affaire privée», laquelle propose d’exclure l’interruption volontaire de grossesse des prestations remboursées par l’assurance maladie (LAMal).

 

Le droit à l’auto-détermination face à la stigmatisation

Les initiatives du même type que la votation tessinoise jouent la carte du populisme en surfant sur la vague de l’islamophobie rampante en Europe. D’autre part, elles ne font que renforcer la stigmatisation et l’isolation des femmes musulmanes. Il est important de souligner que les soi-disant « féministes » qui soutiennent ces initiatives se retrouvent dans des alliances contre nature avec l’extrême droite et les droites populistes qui attaquent quotidiennement les droits démocratiques et sociaux des femmes. De plus, de telles orientations politiques sont en porte-à-faux avec toute idée de l’autodétermination des femmes par elles-mêmes en jetant l’anathème sur les femmes portant la burqa, en parlant en leur nom et en les déclarant automatiquement oppressée sans leur donner la parole ou même les écouter.

Le combat contre l’islamophobie et le racisme en général et pour le droit à l’exercice de la liberté de conscience est fondamental dans la pensée marxiste. Dans sa Critique du programme de Gotha du Parti Ouvrier Allemand (1875), Marx expliquait que la liberté privée en matière de croyance et de culte doit être définie uniquement comme rejet de l’ingérence étatique. Il en énonçait ainsi le principe : «chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez». Ce même Marx a défendu l’obtention des droits civiques des juifs de Cologne en 1843 et déclarera que le privilège de la foi est un droit universel de l’homme. Le marxisme classique, celui des fondateurs, n’a d’ailleurs pas requis l’inscription de l’athéisme au programme des mouvements sociaux.

La question du voile et de la burqa ne con­cer­ne que les femmes, elles doivent décider par elles-mêmes et en toute indépendance de son port ou non. Le voile et la burqa imposés ou retirés par la force sont un acte réactionnaire et qui va à l’encontre de tout soutien à l’auto­détermination des femmes.

La gauche radicale doit s’investir sans hésitation et totalement dans ce combat contre l’islamophobie, qui cible de manière toujours plus oppressive des jeunes femmes, pour la plupart issues des classes populaires. Pour cette lutte antiraciste, il faut construire un front commun avec des organisations et des individus musulmans, dans une démarche de défense des droits démocratiques de base de tous et de toutes.

 

Paola Salwan Daher et Joseph Daher