De quoi la «Gauche plurielle» est-elle le nom?
En avril 2013, le Parti socialiste neuchâtelois (PSN), les Verts et le POP déposaient au 1er tour des élections au Conseil d’Etat une liste « Gauche plurielle », sur un programme minimum en 5 points. Les 3 candidat·e·s PSN présents sous ce label ont été élus au 2e tour (mai 2013). L’appellation a une histoire et une actualité peu engageantes.
Alain Bringolf (POP) analyse ce résultat dans un article titré « Plurielle, la gauche doit s’unir dans ses diversités » (Gauchebdo, 7.5.2013) : « Le POP veut que les socialistes et les Verts s’engagent dans la réalisation des cinq projets concrets du programme électoral de la gauche :
encourager financièrement et administrativement les entreprises qui participent à l’effort de formation professionnelle;
rendre les transports publics accessibles aux étudiants et apprentis en offrant un abonnement général au prix le plus bas;
favoriser l’intégration des étrangers en octroyant le droit d’éligibilité à chaque électeur;
étendre les heures d’ouverture de l’accueil extra-familial;
assurer la relève médicale en soutenant l’installation de cabinets médicaux dans toutes les régions du canton, en particulier de généralistes et de pédiatres ».
D’où vient le terme « gauche plurielle » ?
Il qualifiait le gouvernement de Lionel Jospin (1997–2002), à dominante PS, avec Dominique Voynet pour les Verts, Marie-Georges Buffet et Jean-Claude Gayssot pour le Parti communiste français (PCF). Ces derniers n’ont pas influencé les orientations fondamentales de ce gouvernement : « Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin a plus privatisé que les gouvernements de droite qui l’ont précédé, allégé la taxation sur les options sur titre (stock-options) et promulgué la loi sur les nouvelles régulations économiques, établissant un cadre juridique ‹ à l’anglo-saxonne › pour les entreprises en matière d’OPA, de concurrence et de droit des actionnaires minoritaires. […] Il n’est alors pas étonnant que 60 % des électeurs de 2002 aient pensé que le gouvernement Jospin n’avait pas vraiment mené une politique de gauche » (Bruno Amable, « La gauche et les compromis pourris », Libération, 31.8.2010).
Quelle en est la version neuchâteloise ?
Pour revenir à Neuchâtel, le programme minimum d’avril 2013 présente un inconvénient majeur. Il est extrêmement minimum et n’aborde pas des points essentiels, tels que :
le bilan de la politique fiscale des gouvernements antérieurs : or, depuis 2005, le consensus entre droite et gauche gouvernementales a débouché sur une baisse de l’imposition des grandes entreprises, des holdings, des fortunes et des revenus les plus élevés?;
la suppression du « frein à l’endettement et aux dépenses » (exigeant une majorité de 3/5 du parlement pour des dépenses importantes) : or, cette procédure permet à la droite d’apposer son veto royal à divers projets?;
la poursuite par le Conseil d’Etat de l’application du programme législatif 2010–2016, basé sur une politique d’« économies ».
En 2005-2009, Neuchâtel était déjà dirigé par une majorité « gauche plurielle » (2 PSN, 1 Vert), avec un premier ministre des finances (Jean Studer) prompt à manier la tronçonneuse. Le bilan n’est pas probant : « Qu’un gouvernement de gauche, qui plus est en période de crise, se croie mandaté par ses électeurs pour couper dans les services de l’Etat afin d’équilibrer le budget cantonal témoigne d’une curieuse conception des valeurs politiques censées l’animer. […] Le Conseil d’Etat n’a cessé de rabâcher les arguments habituels de la droite, en matière de rigueur budgétaire, réduction des prestations, ou de ‹ rationalisations › (de l’administration, des hôpitaux, de la formation, etc.) » (Antoine Chollet, Pages de gauche, janvier 2009).
La version 2013-2017 de la « gauche plurielle » ne s’annonce pas mieux : félicité en février 2013 par R. Lorétan (PDG du groupe Genolier) pour avoir accepté l’arrivée de GSMN SA dans le secteur hospitalier neuchâtelois, l’actuel premier ministre des Finances – Laurent Kurth – annonce sa volonté de faire renégocier la convention collective de la santé. Cette CCT est échue en 2016, mais Laurent Kurth voudrait faire entrer la « nouvelle » mouture en vigueur le 1er janvier 2015. Autant dire que les cinq points du programme minimum cité plus haut ne sont pas essentiels pour le Conseil d’Etat ! Les priorités sont ailleurs…
A maintes reprises, il a été demandé à solidaritéS Neuchâtel d’apposer son logo sur des affiches « unitaires ». Nous avons souvent répondu négativement : il convient d’utiliser notre logo avec parcimonie, seulement lorsque les objectifs proposés représentent une avancée réelle. Dans « Où va la France ? » (1936), Trotsky rappelait que le front unique, c’est « marcher séparément, frapper ensemble » et non pas « marcher ensemble pour être battus séparément ». La « gauche plurielle » (version française ou neuchâteloise) relève de la seconde catégorie. Raison suffisante pour ne pas continuer à susciter des illusions.
Hans-Peter Renk
——————————
Une première historique ?
Lu sous la plume de Jonathan Grétillat, responsable de campagne du PSN : « Historique aussi, c’est la première fois en Suisse qu’une majorité de ministres socialistes occupera les fauteuils d’un gouvernement cantonal » (Le Point, juin-juillet 2013).
Voilà qui s’appelle se hausser du faux col ! Le premier gouvernement cantonal à majorité socialiste a été élu à Genève en 1933. Le citoyen Grétillat devrait perfectionner ses connaissances en histoire du mouvement ouvrier… hpr