Initiative UDC contre l'immigration de masse

Initiative UDC contre l'immigration de masse : «Nous avions demandé des bras, ce sont des hommes qui sont venus»

Cette célèbre phrase de l’écrivain suisse-alémanique Max Frisch rappelle les conditions épouvantables de travail, de logement et de vie dans lesquelles la Suisse a fait venir la main-d’œuvre étrangère d’Italie, d’Espagne, du Portugal et de l’ex-Yougoslavie, depuis 1950 jusqu’à la fin des années 1980, en particulier pour construire ses barrages, ses routes et ses tunnels, pour travailler dans ses entreprises horlogères ou pour développer son industrie touristique.

 

Ces travailleurs et travailleuses étaient soumis au statut de saisonnier, statut aux conditions particulièrement iniques: durée de séjour limitée à 9 mois, obligation de rentrer dans le pays d’origine les trois autres mois, interdiction de changer d’emploi, d’avoir son propre logement ainsi que de faire venir son conjoint et ses enfants. Le 9 février 2014, les citoyennes et citoyens vont voter sur l’initiative populaire de l’Union démocratique du centre (UDC) « contre l’immigration de masse ». Une initiative qui nous ramène à cette politique migratoire du statut de saisonnier.

 

L’UDC, pour une main d’œuvre exploitable et corvéable à merci

L’initiative de l’UDC revient en arrière par rapport à l’Accord de libre circulation des personnes (ALCP) avec l’Union européenne (UE), entré en vigueur le 1er juin 2002. Elle institue un système de plafonnement et des contingents d’autorisations de séjour pour les étrangers, limitant en particulier le droit au regroupement familial. C’est un retour à la politique de contingentement de la main-d’œuvre étrangère, largement soutenue en son temps par la très grande majorité des fédérations syndicales de l’Union syndicale suisse (USS) ainsi que par le Parti socialiste suisse (PSS).

Permis de travail saisonnier ou annuel, l’autorisation de séjour est étroitement liée aux besoins de main-d’œuvre des différentes branches de l’économie. L’initiative UDC n’institue aucun droit au séjour, ni pour le ou la sa­la­rié·e, ni pour sa famille. Elle inscrit même expressément le terme de «préférence nationale» dans la Constitution fédérale ! La libre circulation des personnes, même très limitée, et les droits qu’elle institue seront ainsi réduits à néant.

 

La réponse du PSS: un utilitarisme migratoire 

Christian Levrat, président du PSS, critique l’initiative UDC en affirmant qu’elle vise «à remplacer un système relativement souple par une machinerie kafkaïenne (…), à remplacer un système dans lequel l’économie, de manière transparente, fixe le volume de l’immigration en Suisse par un système où l’administration, sous la pression des lobbies, serait amenée à fixer des contingents». Avec les milieux patronaux, le PSS défend ainsi la politique migratoire actuelle, au nom de sa meilleure adéquation aux «besoins de l’économie» ! Toutefois, Christian Levrat explique que «la poursuite d’une politique ouverte (soit l’ALCP) implique le maintien d’une cohésion sociale forte, la restauration de la conviction que tous, peu ou prou, bénéficient des bienfaits de la croissance».

Lors de l’assemblée de délégués du PSS du 26 octobre 2013, la résolution adoptée se conclut ainsi : «Jusqu’ici, la libre circulation des personnes s’est révélée un succès, notamment grâce aux mesures d’accompagnement en faveur desquelles le PS comme les syndicats ont fait pression pour protéger les salaires et les conditions de travail helvétiques. Pour que ce succès se poursuive, et que les fruits de la croissance puissent être équitablement partagés, le PS exige un renforcement des mesures d’accompagnement et une adaptation à la réalité». Et le PSS de mettre en avant, notamment, l’introduction de salaires minimums, des contrôles plus stricts sur les conditions de travail, des loyers en fonction des coûts et non du marché, l’augmentation des places de formation. «Parole, parole», comme le chantait Dalida !

La véritable success story du PSS, c’est celle de son intégration institutionnelle profonde depuis des décennies et non la protection des salaires et des conditions de travail ! Et le désenchantement des milieux populaires face à cette gauche institutionnelle est l’une des raisons, et non la moindre, des résultats électoraux importants et du succès des initiatives de partis xénophobes, comme l’UDC, le MCG à Genève ou la Lega au Tessin. Car les politiques d’austérité et de précarisation des conditions de travail ont déstabilisé, en Suisse également, les conditions de vie de nombreux sa­la­rié·e·s, re­trai­té·e·s, jeunes ou sans-travail. Et ces politiques ont été – et sont – menées sous la houlette, ou avec la caution du PSS, à travers sa participation minoritaire depuis des décennies au Conseil fédéral ou celle – minoritaire, voire majoritaire – dans les exécutifs cantonaux et communaux.

 

Défendre les droits des sa­la­rié·e·s, des locataires, ensemble, quelles que soient leur nationalité ou leur origine!

Dire Non le 9 février 2014 à l’initiative UDC, c’est d’abord refuser une mise en cause des quelques droits reconnus aux res­sor­tis­sant·e·s des pays de l’UE en matière de séjour, de regroupement familial et d’accès aux prestations sociales. C’est ensuite, et surtout, affirmer un engagement à agir en commun, sur les lieux de travail, dans les quartiers populaires, dans les lieux de formation, pour contrer ensemble les politiques qui conduisent à réduire le pouvoir d’achat de la majorité de la population ou qui favorisent la spéculation immobilière.

Et ces luttes, pour qu’elles puissent être victorieuses, doivent rassembler toutes et tous, indépendamment de la couleur de leur passeport. Le poison de la xénophobie et du racisme contribue en réalité à affaiblir les résistances possibles. Il ne sert qu’à ceux qui engrangent des profits dans la crise sociale et économique que nous vivons.

 

Jean-Michel Dolivo