Que va faire la France en Centreafrique?

Le 8 décembre, moins d’un an après l’opération Serval au Mali, voici l’opération Sangaris, menée par l’armée française, à nouveau sous la houlette d’un gouvernement « socialiste ». Bien entendu, il s’agirait encore une fois, pour la République des droits de l’homme, de sauver des milliers de vies humaines contre un risque d’emballement génocidaire. Mais en réalité, l’objectif de l’ancienne puissance coloniale est moins reluisant.

C'est au Sommet franco-africain de l’Elysée, le 6 décembre, placé sous le signe de la paix et de la sécurité, que François Hollande annonce cette opération «désintéressée» pour venir en aide à «un peuple qui souffre et nous appelle». Ce sommet, destiné à la promotion des intérêts français en Afrique, notamment face à la concurarence internationale, a réuni 26 chefs d’Etat africains. La veille, le Conseil de sécurité adoptait la résolution 2127, autorisant l’intervention de la MISCA (une force africaine de 3600 hommes), mais aussi de 1600 parachutistes membres des forces spéciales françaises, pour «rétablir la sécurité» en République centrafricaine (RCA).

 

Lourd héritage colonial

La République centrafricaine est peuplée de 5 millions d’habitant·e·s sur 623 000 km2, dont plus de 70 % vivent de l’agriculture de subsistance. L’ancienne colonie de l’Oubangui-Chari est l’un des quatre territoires de l’Afrique-­Équatoriale française, devenu indépendant en 1960, dans un cadre néocolonial. En 1966, Bokassa s’empare du pouvoir par un coup d’Etat  et le nouveau potentat, qui deviendra empereur dix ans plus tard avec la bénédiction de l’Elysée, permet à la France de garder la haute main sur le pays. Depuis lors, tous les chefs d’Etat de RCA sont arrivés au pouvoir par un putsch, agréé par l’ancienne métropole.

Pendant la guerre froide, la RCA est érigée en bastion de la présence française en Afrique, en particulier face à l’intervention libyenne au Tchad, durant les années 80. Elle perd cependant cet intérêt au tournant des années 90, suscitant une réduction importante du dispositif militaire français.

 

Bois précieux et diamants

La RCA exporte surtout des bois tropicaux et des diamants. L’exploitation de près de 4 millions d’hectares de forêts, aux frontières du Congo et du Cameroun, est aux mains de compagnies privées étrangères, dont les françaises Bolloré et Thanry, qui s’acquittent de redevances, mais ont peu de considération pour la préservation des ressources naturelles dont dépendent les populations. Compte tenu des coûts de transport, seuls les bois nobles sont coupés, provoquant pourtant des dégâts collatéraux importants.

L’extraction d’un diamant de haute qualité repose sur les épaules de près de 100 000 petits prospecteurs, qui vendent le carat au tiers de sa valeur à des « collecteurs ». Ils ne bénéficient pourtant que d’une fraction de ce prix pour assurer la survie de leur famille (10 % de la population du pays en vit partiellement), compte tenu des ponctions opérées par un Etat prédateur et ses agents (licences d’exploitation et corruption de la police des mines), par les « collecteurs » urbains et le racket des groupes armés. Pour couronner le tout, ces pierres sont écoulées sur le marché mondial par quelques exportateurs autorisés, dont le suisse Adamas, basé à Zoug.

 

L’épouvantail chinois

Dans la seconde moitié des années 2000, François Bozizé, qui préside le pays depuis 2003 au profit de son clan familial, par la grâce de la France, développe pourtant ses liens avec la Chine, qui lui accorde des crédits. Le 10 septembre 2009, il est même reçu par Hu Jintao à Pékin à qui il cède le site d’exploration pétrolier de Boromata. Les exportations de la RCA vers l’Empire du Milieu s’envolent (12 % en 2008, 14 % en 2009, 19 % en 2010… 28 % en 2012)?; de même, des partenariats se développent dans les domaines de l’énergie (hydraulique et solaire), de la construction et des communications, sans parler du militaire (40 officiers centre-africains formés chaque année en Chine). Même les USA s’en inquiètent…

Par ailleurs, l’exploitation des gisements d’uranium de Bakouma (S-E), découverts en 1960 (production potentielle de 2000 à 3000 t par an), a été constamment repoussée avant d’être mise en stand-by par Areva, en octobre 2011, en raison, semble-t-il, de la baisse des cours. Le géant français avait forcé la main du gouvernement de RCA pour en obtenir le monopole, si bien que sa non-exploitation fait lors l’objet d’un contentieux. Bangui songeait-elle à en céder les droits à d’autres ?

 

Vers l’intervention française

C’est dans ce contexte qu’éclate la guerre civile en RCA, en décembre 2012, entre le gouvernement de Bozizé, lâché par une partie de ses partisans, et la Seleka (« coalition » en langue sango), réunissant cinq mouvements rebelles, dirigée par Michel Djotodia, un leader musulman qui s’empare de la capitale en mars 2013. Entre-temps, le Tchad et l’Afrique du Sud, cette dernière sans doute en contrepartie d’avantages miniers, ont apporté une aide comptée au régime de Bozizé tandis que Paris et Washington refusaient de le soutenir, escomptant le pourrissement de la situation pour jouer leur carte ultérieurement.

Après la victoire de la Selaka, les groupes armés rebelles n’acceptent pas tous de rentrer dans le rang en se soumettant à l’autorité de Djotodia. Les dissidents s’engagent alors dans des exactions envers les populations civiles, auxquelles les anciens partisans de Bozizé répondent aussi par la violence. Il n’en faut pas plus pour agiter le spectre de massacres interconfessionnels, puisque les premiers sont musulmans et les seconds chrétiens, justifiant l’intervention de la France. Comme le note un chroniqueur du Guardian, François Hollande a développé «une nouvelle formule» pour intervenir dans ses anciennes colonies «avec doigté». Mais quels peut être le but de cet activisme françafricain, si ce n’est le sauvetage de cette zone d’influence, fût-elle réduite ?

 

Jean Batou