Avortement

Avortement : L'Objection de conscience, cache-sexe utile d'un déni de droit

Diverses initiatives visant à limiter, voire à interdire, le droit à l’avortement ont été et sont toujours combattues avec vigueur par de larges mouvements d’opinion en Europe comme ailleurs (nous l’avons vu récemment en Suisse). Cependant, aujourd’hui, c’est sur le terrain des soins que la négation délibérée du droit des femmes se joue. L’Italie qui va bientôt fêter les 36 ans de la promulgation de la loi sur l’avortement en constitue un triste cas idéal-typique.

Valentina contrainte d’avorter seule, dans la salle de bain d’un hôpital romain?; une jeune fille de 19 ans laissée sans assistance dans les couloirs du service de gynécologie d’un hôpital de Gênes sans qu’aucun médecin ne s’assure de son état de santé après qu’elle ait ingéré la pilule RU486. Cas isolés ? 

Des services entiers de gynécologie, comme celui de Jesi dans la province d’Ancône, refusent aujourd’hui d’appliquer la loi parce qu’ils sont composés à 100 % de médecins « objecteurs de conscience ». Une catégorie floue qui, selon un rapport récent du Global Doctors for Choice (GDC), réseau transnational de médecins, semble avoir de moins en moins de rapports avec les croyances religieuses, morales, éthiques ou philosophiques des médecins, infirmiers, infirmières, anesthésiste ou pharmaciens qui l’invoquent (cf. globaldoctorsforchoice.org/resources/white-papers). L’étude relève en effet que les facteurs les plus courants de l’objection de conscience couvrent la peur de la stigmatisation sociale?; la pression sur les médecins qui acceptent de pratiquer ce genre d’intervention en particulier dans des services où les gynécologues non-objecteurs se réduisent à peau de chagrin?; les connaissances lacunaires des médecins et du personnel soignant?; la difficulté d’accès à l’équipement nécessaire?; mais aussi la possibilité de gagner plus d’argent en effectuant les IVG qu’on refuse dans le public dans des cabinets privés (c’est le cas notamment au Brésil et en Pologne). 

 

Le droit des femmes
piétiné

L’Italie se range parmi les pays au monde où l’objection de conscience est la plus répandue, même si les comparaisons demeurent difficiles, l’objection de conscience ne recouvrant pas tout à fait les mêmes critères et la même définition suivant les pays pris en considération par le GDC. 

Si l’on en croit un rapport d’octobre 2012 du Ministère de la santé italien, la moyenne nationale des objecteurs de conscience serait de 70 %, chiffre important si on le compare à la Grande-Bretagne (10 %) ou au Japon (14 %), et devancé seulement par le Portugal (80 %). Le tableau par région est encore plus alarmant. Sans surprise, c’est l’Italie du Sud qui détient le record avec des taux dépassant les 85 % en Basilicata et dans le Molise et les 80 % en Sicile. Dans le Nord, la Vénétie est à plus de 76 %. Plus grave encore, dans aucune région italienne le taux ne descend en dessous des 50 %. La Laiga, association née en 2008 pour défendre la loi 194/78 légalisant l’avortement, affirme même aujourd’hui que les taux dépasseraient en réalité les 90 % dans certaines parties de l’Italie. L’association se base sur sa propre enquête auprès de chaque structure de gynécologie et obstétrique (en l’absence d’un registre complet et détaillé des objecteurs de conscience). Il en ressort que, par exemple, dans le Lazio 10 hôpitaux sur 31 n’ont pas de service d’IVG?; sur l’ensemble du territoire, 178 hôpitaux sur 441 ne pratiquent pas l’IVG. Certains services ne comptent aucun gynécologue non objecteurs comme à Jesi ou Businco en Sardaigne ou n’en dénombrent qu’un ou deux. Selon les données du Ministère de la santé italien, en 30 ans, les objecteurs de conscience ont crû de 17,3 % et les avortements, du moins les avortements enregistrés, ont diminué de plus de moitié (de 17,2 pour milles à 7,8 pour milles). 

Le Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe a en mars dernier tiré la sonnette d’alarme en approuvant la plainte de la Fédération internationale du planning familial contre le trop grand nombre de médecins objecteurs de conscience dans la péninsule. Il a dénoncé une violation flagrante du droit des femmes, soutenant que le pourcentage élevé d’objecteurs ne garantissait plus l’accès des femmes italiennes à des services de santé acceptable et violait leurs droits. Si l’objection de conscience était en effet garantie par la loi 194 sur l’avortement, elle était néanmoins accompagnée d’une clause restrictive (article 9) assurant le droit des femmes à être soignées dans les structures hospitalières publiques. Aujourd’hui, cette clause restrictive semble avoir disparu des radars. 

 

L’austérité au service du patriarcat… encore une fois

Cette question est d’autant plus sensible aujourd’hui que, sous prétexte d’un taux élevé d’objecteurs de conscience dans les hôpitaux publics italiens, les économies risquent de se faire précisément dans ces services délaissés, victimes toutes trouvées des politiques d’austérité. Le gouvernement italien pourra d’ailleurs pour ce faire se prévaloir de la baisse significative du nombre d’avortements. Le rapport du GDC ne laisse aucun doute en la matière : le manque de personnel soignant non-objecteur a pour conséquence presque inévitable le report des sommes accordées à l’avortement sur d’autres services de santé.

En Italie, le nombre restreint de gynécologues non-objecteurs a d’ailleurs tendance à jeter l’éponge. Pensons aux deux seuls médecins de l’hôpital milanais de Niguarda contraints d’assurer 780 interruptions de grossesse par année. Les cliniques privées, quant à elles, s’enrichissent sur le dos de la détresse et du désespoir de nombre de femmes pour lesquelles le service public se réduit à néant (72 % des interruptions de grossesse à Bari sont à ce jour pratiquées dans des cliniques privées aux affaires juteuses). Le néo­libéralisme triomphant se pare des « beaux » atours de l’objection de conscience. En vidant les droits publics fondamentaux de leur contenu, en les ramenant à la seule sphère privée, et en faisant une question de ressources financières, il poursuit son œuvre de sape inégalitaire. 

 

Stefanie Prezioso