Musée d'art et d'histoire

Musée d'art et d'histoire : Une privatisation aux relents de business pétrolier

Après plus de quinze ans d’études, de projets et de recours, le Conseil municipal de la Ville de Genève a accepté ce 29 avril l’entrée en matière sur un crédit de plus de 139 millions pour la rénovation et l’agrandissement du Musée d’art et d’histoire (MAH). Jusqu’à présent, les débats et les recours ont surtout porté sur les menaces pour le patrimoine bâti que représenterait le projet de l’architecte Jean Nouvel. Au vote, seul le groupe d’Ensemble à Gauche a refusé l’entrée en matière, notamment parce que le projet implique la mainmise du capital d'un privé sur le plus grand musée public de Suisse.

 

Comme le déclare un des principaux défenseurs du projet, représentant du PLR, son financement se base sur «un partenariat public-privé comme notre ville n’en a jamais connu, appelé de ses vœux par le PLR» (TdG du 8 mai 2014). En effet, en contrepartie du financement partiel du coût des travaux par la Fondation Gandur pour l’art (FGA) et le prêt (et non pas le don ou le legs) de ses collections d’art ancien et moderne, la Ville s’engage à offrir toute une série de prestations qui permettront à la FGA de disposer, gratuitement et sur une période de 99 ans, d'une institution publique de premier ordre.

 

Avec la convention la liant à la FGA souscrite en 2010, la Ville s’engage à :

exposer en permanence au moins la moitié de la collection d’art ancien de la FGA?;

exposer, sur une surface d’au moins 400 m2, l’essentiel de la collection d’art moderne de la FGA?;

entreposer les œuvres non exposées des collections de la FGA?; 

mettre à disposition les espaces du MAH ou d’autres musées de la Ville ainsi que le personnel nécessaire pour la mise en place de deux expositions de la FGA par période de quatre ans?;

effectuer tout ce qui est lié à la conservation des collections de la FGA (la conservation comprend tout le travail scientifique, d’inventaire, de recherche, de photographies, de publications, de déplacements, de prêts, …). Seule la restauration est à la charge de la FGA qui conserve toutefois tous les droits et les revenus tirés d’une quelconque utilisation de ses objets?;

assumer tous les frais d’assurance, de surveillance, de gardiennage pour les objets des collections de la FGA (exposés ou entreposés) de même que pour les expositions spécifiques de la FGA?;

mettre à disposition de la FGA, dans le MAH rénové : trois espaces de bureaux, une salle de conférences (avec plaque FGA à l’entrée), un espace d’archivage, le standard téléphonique du MAH, trois lignes téléphoniques plus fax et internet?;

mentionner le partenariat avec la FGA sur tout support de communication du MAH (papier à en-tête, toutes sortes de publications, site Internet, etc.) et pose de plaques aux entrées du MAH ainsi que dans l’espace « Nouvel »?;

respecter des « principes de collaboration » inégaux avec la FGA : alors que la FGA se réserve le droit de retirer à tout moment des objets de ses collections, le MAH doit informer régulièrement la FGA sur sa politique générale et «de tout autre sujet ayant une incidence sur le partenariat entre la Ville et la FGA sur lequel elles se concerteront.»

 

Cette liste non exhaustive montre que le « partenariat public-privé » avec la FGA n’a strictement rien à voir avec un «mécénat» qui par définition ne comporte pas de contre-prestations.

Tout laisse prévoir que le « retour sur investissement » sera très avantageux pour la FGA. Son installation au MAH lui permettra de sortir ses collections des entrepôts du Port-Franc où elles se trouvent actuellement pour être mises en valeur dans une institution muséale prestigieuse qui lui donnera un accès privilégié aux grands circuits des expositions internationales. Cette prestation n’est pas facilement chiffrable, mais cela peut déjà valoir une bonne partie des 40 millions de francs que la FGA a promis pour le financement de la reconstruction du MAH.

A cela, il faut ajouter les frais de gestion (la conservation, l’entreposage, l’organisation des expos, les assurances, le chauffage, le gardiennage, les bureaux, les salles de conférences et d’archives, etc.) des collections de la FGA que la Ville s’engage à payer pendant 99 ans. «Ces charges sont en cours d’estimation. Elles devraient être chiffrées d’ici quelques semaines» affirmait-on au Département municipal de la culture suite aux interrogations soulevées par un avis de la Cour des comptes du 21 septembre 2011, qui validait néanmoins la convention liant la Ville à la FGA. Ces chiffres n’ont jamais été fournis, même lors du dépôt du projet devant le conseil municipal en avril dernier. Leur publication montrerait très probablement que le « partenariat public-privé » à la base du projet est totalement inégal et au détriment du public : après l’amortissement au bout de quelques années de l'investissement initial de la FGA, c'est le partenaire public qui va subventionner le partenaire privé (la FGA) pour la majeure partie de la période contractuelle. 

Ce partenariat n’est pas seulement inégal du point de vue financier. Les choix des politiques muséale et culturelle que la Ville peut mener avec ce grand instrument culturel aujourd’hui public qu’est le MAH (avec toutes ses composantes et annexes) seront lourdement hypothéqués par ce partenariat, qui permet non seulement à la FGA de s’installer au MAH pendant plusieurs générations, mais oblige aussi la Ville à se «concerter» avec la FGA sur tout sujet ayant une incidence sur ce partenariat. Si le partenaire privé n’est pas d’accord avec une proposition culturelle de la Ville, celle-ci ne pourra pas se réaliser. Enfin, une telle position de force au profit d'un seul partenaire aussi outrageusement privilégié rendra beaucoup plus difficile la participation d'autres institutions et donateurs. 

 

Tobias Schnebli

 


Gandur

Ses milliards proviennent des régions troublées du Sud

 

La fortune actuelle de Jean-Claude Gandur est estimée à plus de 2,5 milliards de dollars (Forbes). Gandur a appris son métier à Zoug, où il a travaillé dès 1976 chez la société de négoce Philipp Brothers, que venait d’abandonner le (tristement) célèbre Marc Rich. Il fonde sa propre société de négoce (basée aux Îles Vierges), Addax & Oryx Group (AOG) en 1987.

Ses affaires s’étendent du commerce des matières premières à l’extraction et l’exploitation minière dans des pays en proie à de graves difficultés ou à des guerres: pétrole entre autres au Nigéria, Cameroun et Gabon, or en République Centrafricaine. Plusieurs articles mentionnent la participation d’AOG à des livraisons de pétrole pour le compte de Saddam Hussein lorsque l’Irak était placé sous embargo.

Après la chute de Saddam, Addax obtient une grande concession pour l’extraction de pétrole au Kurdistan irakien. Le responsable des opérations d’Addax au Nigéria et un deuxième cadre de la société ont été condamnés en Suisse pour blanchiment d’argent en 2000, pour avoir aidé à transférer en Suisse plus de 120 millions de francs pour le compte du dictateur Sani Abacha (décédé en 1998, il avait fait exécuter par pendaison en 1995 l’écrivain Ken Saro Wiwa avec plusieurs autres militants qui dénonçaient les ravages de l’extraction pétrolière dans le delta du Niger).

Mais la direction d’Addax et donc M. Gandur n’étaient pas impliqués. «Je ne peux pas être la nurse de tous mes employés. J’estime que c’est une affaire classée» répondait à propos de ces condamnations M. Gandur dans un interview recueilli par Gilles Labarthe (7.12.2005). En 2009, Gandur a vendu sa société Addax au groupe chinois Sinopec pour la somme de 7,2 milliards de dollars. Aujourd’hui, sa société Oryx Petroleum est active en Irak (au Kurdistan et près de la frontière iranienne) ainsi qu’en Afrique occidentale (Congo Brazzaville).

On ne peut pas terminer ce tableau très sommaire sans mentionner, last but not least, l’accaparement de quelques 14000 ha de terres à la Sierra Leone (ravagé par une guerre civile il y a une dizaine d’années) par Addax Bioenergy, société genevoise créée par M. Gandur pour produire de l’agrocarburant à partir de la plantation de canne à sucre.

Encore le 15 mars 2013, la Plateforme agrocarburants, une coalition d’ONG suisses*, dénonçait cette production d’agrocarburants qui constitue une menace grave pour la sécurité alimentaire et pour l’environnement des populations concernées. 

 

Tobias Schnebli

 

* Composée des organisations suivantes: Alliance Sud, Association des petits paysans, Groupe de travail Suisse-Colombie, Médecins en faveur de l’environnement, Bio Suisse, Bioforum Schweiz, Pain pour le prochain, Déclaration de Berne, Action de Carême, Greenpeace, Parti écologiste suisse, Parti socialiste suisse, Pro Natura, Uniterre, Swissaid, Terre des Hommes Suisse, Association Transports et Environnement ATE.