Le forum de la gauche américaine
Le forum de la gauche américaine : À la recherche d'un monde doté d'une véritable justice
Aux États-Unis, 2,3 millions de personnes sont en prison, ce qui en fait le pays avec le plus haut taux d’incarcération au monde (743 pour 100 000). Alors que les USA représentent 5 % de la population mondiale, ils comptent 25 % de détenus. Le gouvernement fédéral et ceux des États dépensent 60,3 milliards de dollars pour les prisons. Pourtant, il existe un mouvement opposé à cette politique. Cette année, il occupait une place importante au sein du « Left Forum », le plus grand rassemblement annuel des intellectuels et activistes socialistes aux États-Unis.
Le premier de ces forums s’est tenu en 1981. Chaque année, il réunit plus de 3000 personnes des États-Unis et au delà, dans plusieurs sessions plénières et des centaines d’ateliers abordant des sujets divers : de l’environnement aux droits des personnes LGBT, des stratégies syndicales aux nouvelles percées du mouvement féministe, des débats sur l’avenir du mouvement de solidarité avec la Palestine aux discussions à propos de la crise économique en Europe. Au premier plan du forum de cette année, figurait la honte nationale que constitue l’incarcération de masse. En plus d’une plénière abordant ce thème, douze ateliers touchaient à des questions relatives à la justice.
Un système raciste
Les mouvements opposés à l’incarcération massive et à la peine de mort ont aujourd’hui progressé et possèdent un impact réel. Ceci est en partie le produit du racisme flagrant de ce système. Sur les 2,3 millions de prisonnier·e·s, un million sont noirs. Un Afro-Américain sur six a été incarcéré aux États-Unis. Alors qu’ils ne représentent que 13% de la population US, ils constituent 40% de la population carcérale ; de même les Latinos constituent 16% de la population totale mais représentent 21% des détenu·e·s. En 2009, les Afro-Américains représentaient 41% des personnes condamnées à mort, les Hispano-Américains 11%, et les autres 2%. 54% des personnes condamnées à mort sont donc de couleur. Rappelons que 32 des 50 États appliquent la peine de mort, qu’il y a en tout temps environ 3000 condamné·e·s à mort et que, chaque année, 30 d’entre eux-elles sont exécutés.
La professeure Michelle Alexander, une chercheuse afro-américaine, a abordé ces enjeux dans son livre The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Color Blindness (L’incarcération de masse à une époque où la couleur est réputée invisible), publié en 2010. Elle y affirmait que la guerre contre les drogues et la mise en œuvre actuelle de la loi ont eu un impact similaire aux lois racistes du système Jim Crow (qui instituait la ségrégation raciale au 19e siècle). Également en 2010, Piper Kerman, une femme blanche ayant passé 13 mois en prison pour trafic de stupéfiants a écrit Orange Is the New Black : My Year in a Women’s Prison à propos de cette expérience. Son livre est aujourd’hui repris dans une série à succès. Piper Kerman est devenue une porte parole de la lutte contre l’incarcération, pointant le fait que les femmes constituent la part de la population carcérale qui croît le plus fortement, entrainant la dévastation de nombreuses familles.
Une autre source d’opposition à ce « système d’injustice », se trouve dans The Innocence Project, fondé par Barry Scheck et Peter Neufeld à New York. Il s’engage pour disculper les personnes condamnées à tort grâce à l’usage de tests ADN. Il a réussi ainsi à faire libérer 316 personnes, dont 18 étaient condamnées à mort. Il montre que la preuve par des témoins oculaires s’avère souvent erronée, que la police et les procureurs traitent souvent l’accusé de manière injuste, et que la réduction de peine conduit les innocent·e·s à accepter un certain temps de prison, de peur d’être condamné à plus s’ils plaident l’innocence.
Soigner plutôt que punir
Toutes ces dénonciations sont portées par des mouvements actifs dans des nombreux États contre l’incarcération de masse et la peine de mort à travers de larges coalitions. Le soutien de l’opinion publique à la peine de mort est à son niveau le plus bas depuis 40 ans même si 60% des personnes interrogées y restent favorables en cas de meurtre.
Les lois actuelles impliquent des juges et des jurys pour envoyer des individus inculpés en prison pour une période longue, parfois pour des crimes mineurs. Beaucoup, si ce n’est la majorité de ces inculpé·e·s, ont été impliqués dans la vente ou l’achat de drogues. Étant donné l’incapacité totale du système judiciaire US à réduire la criminalité et d’autre part les pressions pour des réformes, le garde des sceaux Eric Holder a récemment appelé à réduire ce type de peines sévères qui ont fait passer la population carcérale américaine de 500 000 en 1980 à 2,3 millions aujourd’hui.
Pendant de nombreuses années, les discussions autour du système judiciaire US tournaient autour des punitions à infliger aux individus qui ont commis un crime, et ce n’est que secondairement qu’étaient évoqués les essais de réinsertion dans la société. Les milieux progressistes ont soulevé l’alternative d’une « justice de réhabilitation », c’est-à-dire l’idée que la justice devrait approcher ceux / celles qui sont impliqués dans un crime – auteur, victime et société – dans le but non pas de punir mais de guérir.
Les militants de gauche, dont les intellectuels et activistes du Left Forum, demandent une société qui mette fin au racisme, au sexisme et à l’homophobie, qui procure aux citoyen·nes non seulement des besoins sociaux de base – un emploi avec un salaire permettant de vivre, une assurance santé, une éducation, un logement et des transports – mais aussi des opportunités pour l’épanouissement personnel.
Dan La Botz