Hong Kong
Hong Kong : Les enjeux de la révolution des parapluies
Hongkong est le théâtre d’une mobilisation massive pour le droit d’élire librement le chef de l’exécutif. Cette mobilisation dépasse largement le seul cadre d’une radicalisation de la jeunesse scolarisée.
Ancienne colonie britannique, aujourd’hui Région administrative spéciale de la République de Chine, Hongkong n’est pas coutumière de grands mouvements sociaux. Les précédentes remontent à la répression sanglante du mouvement démocratique de 1989, en Chine continentale. Le déroulement des événements récents n’en est que plus spectaculaire. Pour le droit d’élire librement en 2017 le chef de l’exécutif, le 22 juin, près de 800 000 personnes ont participé à un référendum « auto-organisé » et, le 1er juillet, 500 000 ont manifesté – alors que le territoire ne compte environ que 7 millions d’habitant·e·s.
Les élections libres n’existaient pas sous le régime colonial, mais des réformes ont été introduites durant la période de transition qui a préparé la rétrocession du territoire à la République populaire. Pourtant, le choix du chef de l’exécutif reste particulièrement antidémocratique : il est élu indirectement par 7 % du corps électoral via un comité de nomination de 1200 membres dominé par les milieux d’affaires et les représentants officieux de Pékin.
L’extension
A l’appel de la Fédération des étudiants, une grève des cours commence le 23 septembre. Le 26, trois « cofondateurs » d’Occupy Central with Peace and Love sont arrêtés. Le 28, un vaste mouvement d’occupation s’engage à Central, plus tôt que prévu. Une dynamique spontanée de mobilisation s’affirme. Les policiers encerclent les étudiants; en réponse les citoyens entourent les policiers.
La police attaque à coup de lacrymogènes. Les manifestant·e·s se protègent avec des serviettes et en déployant des parapluies – la Révolution des Parapluies est née. Cette brutalité policière est très inhabituelle à Hongkong, d’autant plus qu’elle s’exerce à l’encontre d’un mouvement de désobéissance civile strictement non violent.
La répression a contribué à élargir les soutiens dont bénéficie le mouvement d’occupation. La Confédération des syndicats de Hongkong la dénonce et appelle à une grève de solidarité. Des enjeux sociaux commencent à apparaître, en lien avec la question démocratique. Même si une réforme électorale équitable ne supprimera pas la suprématie des milieux d’affaires, les restrictions démocratiques renforcent leur main mise sur le territoire. Or, les inégalités sociales se creusent, à l’instar de ce qui se passe en Chine continentale.
La menace
A Hongkong, tout le monde a en mémoire la répression sanglante en 1989 du Mouvement démocratique, mais la situation est différente : la direction du PCC ne craint pas de perdre comme il y a 25 ans le contrôle général des événements sur le continent. Mais elle n’est pas décidée à laisser la désobéissance civile s’installer durablement.
Pékin a commencé par faire donner les milieux économiques. Une délégation de 70 hommes d’affaires s’est rendue dans la capitale chinoise pour faire le point. Plusieurs membres de la délégation se sont empressés de mettre en garde les étudiant·e·s, brandissant le spectre d’une déstabilisation économique du territoire. Le 3 octobre, le PCC a franchi un pas de plus en mobilisant des gangs (triades) pour harceler les manifestant·e·s dans les quartiers populaires tel Mong Kok. L’objectif est de créer un climat d’insécurité physique inquiétant la population.
Malgré ces attaques, l’occupation s’est poursuivie. Un certain nombre d’organisations progressistes pensent nécessaire de se replier sur Central pour donner moins de prise aux provocations. Cela n’a pas empêché, le 4 octobre, la poursuite de l’occupation à Mong Kok et Causeway Bay.
Que le mouvement rebondisse dans les jours qui viennent ou pas, la question du suffrage universel et de la démocratie à Hongkong ont été posées avec tant de force qu’elle ne peut plus être ignorée.
L’écho dans le « monde chinois »
Tout le « monde chinois » est concerné par le combat engagé à Hongkong. Pékin craint évidemment la « contamination » démocratique en Chine continentale. Le régime abuse des médias et censure Internet pour déconsidérer le mouvement.
Les événements trouvent un écho particulier à Taïwan, où d’importantes mobilisations ont eu récemment lieu contre la signature d’un traité de libre-échange sino-taïwanais. La République populaire (Pékin) et la République de Chine (Taïpei) étaient hier en état de guerre latente. Aujourd’hui, une alliance se noue entre la bourgeoisie bureaucratique du PCC et une partie des élites taïwanaises pour assurer la bonne marche de leurs affaires, de part et d’autre du détroit.
Le « modèle de Hongkong » – « un État, deux systèmes » – devait servir de référence au rapprochement sino-taïwanais. Il est mis en cause aujourd’hui par le refus de Pékin d’honorer ses engagements en matière de suffrage universel.
Un mouvement en pleine évolution
Avec le recul, l’occupation massive de quartiers de Hongkong apparaît à la croisée de trois « lignées ». Un mouvement international contemporain d’« occupations », inauguré en 2011 en Egypte et qui s’est répété depuis en de nombreux pays. Une mémoire chinoise très vivace dans le territoire; à savoir celle du Mouvement du 4 Juin 1989, cristallisé par l’occupation de la place Tiananmen. L’affirmation récente à Hongkong d’une aspiration démocratique, tout particulièrement portée par une nouvelle génération, dans le cadre d’une aggravation de la situation sociale pour les travailleurs·euses.
Le mouvement est certes composite, mais reflète pour l’heure un processus très rapide de politisation progressiste. Que tout cela se produise au sein du « monde chinois » est extrêmement important. Les enjeux – démocratiques, sociaux et régionaux – de ce qui se passe à Hongkong sont donc considérables.
Pierre Rousset
Raccourci et adapté par notre rédaction
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