Chômage et emploi
Chômage et emploi : Les femmes défavorisées?
Alors qu’un groupe de travail regroupant partis de gauche et syndicats a élaboré un projet de loi de rupture face à la politique actuelle du chômage à Genève (PL LMCE – Loi sur le chômage et l’emploi), le groupe féminismeS de solidaritéS Genève lance le débat quant à la position des femmes en organisant une soirée (voir encart). Dans ce cadre, nous avons posé quelques questions à Morgane Kuehni, sociologue du travail à la Haute Ecole de Travail social et de la santé à Lausanne.
Vous avez récemment publié un article dans le Monde diplomatique sous le titre « En Suisse, faux emplois pour vrais chômeurs », qu’entendez-vous par là ?
Cet article traite des programmes d’emploi temporaire qui ont pour objectif de remettre au plus vite les chômeurs et chômeuses sur le marché du travail. Comme les stages de réinsertion professionnelle et autres mesures actives, il ne s’agit pas de véritables emplois dans la mesure où le travail ne donne pas droit à un salaire, ni aux droits qui lui sont attachés (cotisation au 2e pilier ou à l’assurance chômage par exemple). Le jeu de mot « vrai/faux » rend compte de la dimension fictive de ces mesures qui « singent le contrat de travail » tout en le vidant de sa substance principale. Les chômeurs travaillent puisqu’ils produisent des biens et des services, ont des horaires, un responsable qui les évalue, etc., sans pour autant accéder au « statut salarial » pour parler comme Robert Castel. Les personnes demeurent chômeuses et sont tenues de remplir les obligations fixées par le cadre légal de la loi sur l’assurance chômage : faire des offres d’emploi, se rendre aux entretiens de conseil et de contrôle. Le cadre dans lequel est effectué le travail détermine non seulement des avantages matériels, mais aussi symboliques, à savoir la possibilité pour les individus de le faire reconnaître et de le valoriser (les travaux féministes l’ont d’ailleurs très bien montré avec le travail domestique).
Quel processus conduit une personne au chômage vers ces « faux emplois » ?
Dans le jargon administratif on parle « d’assignation à une mesure active », indépendamment du fait qu’elle soit demandée par une personne au chômage ou imposée par un conseiller en placement. Une assignation a toujours une dimension contraignante : le refus de suivre une mesure active est passible de sanction, comme la suppression des indemnités chômage pour un temps déterminé. Contrairement à ce qui est mis en place dans d’autres pays, le cadre légal ne fixe actuellement aucune condition en termes d’âge, de durée de chômage ou de niveau de qualification : toute personne inscrite dans un Office régional de placement (ORP) peut être assignée à une mesure active.
Vous utilisez également l’expression « business de la réinsertion ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
En 2013, la Confédération helvétique a engagé 558 millions de francs pour les mesures actives du marché du travail destinées à améliorer la rapidité de la réinsertion professionnelle, soit 8,6 % des dépenses totales de l’assurance chômage. Sans dire que c’est un marché particulièrement lucratif, il n’en demeure pas moins que c’est un marché. Ces mesures font d’ailleurs régulièrement débat, tant sur la scène médiatique que politique, notamment vis-à-vis de leur efficacité mais aussi quant aux effets d’aubaine, ou d’opportunité, qu’elles offrent de ne pas remplacer des départs à la retraite dans l’administration et d’employer des personnes en situation d’insertion par exemple.
En quoi la situation des femmes au chômage est-elle particulière ?
Bien que les femmes soient de plus en plus nombreuses sur le marché de l’emploi, elles ne connaissent pas du tout les mêmes situations de travail que leurs homologues masculins. Elles sont par exemple plus nombreuses à connaître une situation de chômage : 4,3 % de femmes contre 3,9 % d’hommes selon l’enquête suisse sur la population active (ESPA, 2013). La surreprésentation des femmes au chômage est liée à leurs conditions d’emploi, qui découlent très clairement de la division sexuée du travail, notamment de leur assignation au travail domestique. Les femmes travaillent majoritairement à temps partiel dans le secteur des services, parfois avec des contrats atypiques (contrat à durée déterminée, travail sur appel, etc.), elles occupent souvent des emplois peu qualifiés donc mal rémunérés, sans parler des inégalités salariales. Très concrètement, cela signifie qu’elles ne remplissent pas toujours les conditions pour ouvrir un droit au chômage (il faut 12 mois de travail salarié dans les 2 ans précédant l’inscription au chômage) et, pour celles qui ont droit au chômage, leurs conditions d’indemnisation sont largement moins bonnes que celles des hommes. Par ailleurs, certaines femmes ont encore à défendre leur légitimité à prétendre à un emploi lorsqu’elles sont au chômage, notamment les femmes mariées et peu qualifiées. Les études montrent également que les pratiques des conseillers en placement sont aujourd’hui encore très inégalitaires, les femmes qui ont des enfants doivent systématiquement justifier leur solution de garde pour pouvoir bénéficier des indemnités, alors que c’est rarement le cas des pères par exemple.
Comment combattre concrètement ces inégalités ?
Les inégalités ne tombent pas du ciel et sont le produit des rapports sociaux, de sexe, de classe, de race pour ne parler que des plus connus. Il me semble difficile de s’en défaire sans opérer une transformation radicale de nos sociétés libérales.