Après le 9 février

Après le 9 février : RASA n'est pas la solution

L’initiative populaire RASA (Raus aus des Sackgasse, en français : « Sortons de l’impasse »), a été lancée à Berne, le 2 décembre dernier par un comité de personnalités, appuyé de 300 signatures. Elle vise à supprimer l’art. 121a de la Constitution en soumettant une nouvelle fois au vote l’initiative de l’UDC « Contre l’immigration de masse ». «Le but est de sauver les bilatérales», titre la NZZ du 3 décembre, avant de citer l’introduction de l’entrepreneur Leo Caprez (Mammut Sports Group) à la conférence de presse des ini­tiant·e·s : «La situation de la Suisse ressemble à celle d’un alpiniste qui s’est engagé par mauvais temps sur un terrain dangereux. Il n’a qu’une seule échappatoire: revenir en arrière».

Les initiateurs·trices de RASA se présentent comme un groupe de ci­toyen·nes attachés aux intérêts du pays, issus des professions libérales, des cercles académiques, du monde de la culture, des milieux économiques, des appareils syndicaux, appuyés par quelques mentors de la vie politique, comme Micheline Calmy-­Rey, sans se revendiquer d’aucun parti. On y retrouve notamment côte à côte la présidente nationale du SSP-VPOD et un grand patron comme Hansjörg Wyss, 2e fortune du pays. Elles·Ils déclarent vouloir rassembler 100 000 signatures valides dans un délai d’un an afin de permettre une nouvelle votation avant le 9 février 2017, date à laquelle les dispositions prévues par l’initiative de l’UDC devraient entrer en force.

Ecoutons-les : «Nous considérons notre initiative comme un plan B. Il n’est pas certain que le Conseil fédéral et le Parlement pourront mettre en œuvre les dispositions de contingentement sans dénoncer les accords bilatéraux. […] Il est à craindre que l’UE statue un exemple avec une attitude rigoureuse à l’égard de la Suisse, afin de démontrer sa détermination à défendre la libre circulation des personnes […] Le groupe RASA saluerait cependant que la politique institutionnelle réussisse à garantir à la population, par des propositions de mise en œuvre appropriées, que les accords bilatéraux soient maintenus et que la Suisse ne se retrouve pas dans une impasse. Dans ce cas, le groupe retirerait l’initiative»

Grosso modo, si on pouvait combiner con­tin­gentements de la main-d’œuvre étrangère et bilatérales, ce serait tant mieux ! RASA prend ainsi l’UDC au mot, puisque cette dernière s’est toujours prononcée pour la voie bilatérale, mais en préparant une issue de secours pour le cas où l’UE menacerait vraiment de mettre la Suisse à l’écart du grand marché européen en réponse à l’entrée en vigueur de l’article constitutionnel voté le 9 février dernier. Dans ce sens, RASA est certes un plan B, mais aussi un moyen de pression sur l’UDC pour qu’elle accepte une mise en œuvre « nuancée » de son article constitutionnel. Dès lors, la question se pose : devrions-nous nous rallier à une telle campagne, parce que nous serions sans doute amenés à nous prononcer pour l’abrogation de l’article 121a, si cette proposition était finalement soumise au vote ? Rien n’est moins sûr.

Certains invoquent le caractère peu démocratique d’une telle contestation, étant donné que cette disposition a été adoptée très récemment par le peuple. Ce n’est pas notre point de vue, puisqu’une telle contre-­proposition émanerait aussi de 100 000 élec­teurs·trices et serait de la même façon soumise au vote. En revanche, en reprenant les arguments des milieux patronaux qui ne font que défendre leurs intérêts, les personnalités « de gauche » qui se prêtent aujourd’hui à ce jeu tournent le dos à deux exigences intrinsèquement liées de notre combat contre le contingentement : une extension des droits sociaux qui permette de lutter effectivement contre le dumping salarial et d’améliorer les conditions de travail; ensuite, la dénonciation du racisme d’Etat, qui cible la «surpopulation étrangère» au nom de la lutte contre «l’altération de l’identité nationale»

Dans ce sens, la défaite du 9 février est une raison de plus de refonder une gauche de gauche, associative, syndicale et politique, qui refuse d’accepter comme une fatalité l’absence d’un salaire minimal légal, d’une protection contre les licenciements, d’une sécurité sociale et d’un système de retraites digne de ce nom, de services publics de qualité répondant aux besoins, etc. Bien sûr, de telles avancées ne peuvent être obtenues que par la lutte sociale – sur les lieux de travail, dans les quartiers et dans la rue – qui permet seule de faire l’expérience de notre nombre et de notre force, lorsque nous sommes unis, femmes et hommes, employé·e·s et chô­meurs·euses, Suisses et im­migré·e·s. Une telle orientation implique cependant de rompre avec le mythe du partenariat social et de la démocratie de concordance, car tel est le vrai cul-de-sac qui a conduit la gauche de ce pays, de renonciation en renonciation, à mêler sa voix à celle des employeurs pour ne plus guère défendre que les intérêts de la « place économique suisse ». 

 

Jean Batou