Histoires de luttes et d'engagements
Les Editions d’en bas ont publié ces derniers temps deux ouvrages traitant de l’histoire sociale et politique en Suisse romande. Le premier, chronologiquement parlant, est l’œuvre de Pierre Jeanneret et présente l’histoire de la Centrale sanitaire suisse, « Croix-Rouge prolétarienne ». Le second, de Frédéric Deshusses, revient sur les luttes ouvrières de la période 1969-1979.
Pierre Jeanneret
75 ans de solidarité humanitaire.
Histoire de la Centrale sanitaire suisse et romande, 1937–2012
Pierre Jeanneret, né à Lausanne en 1944, est docteur en histoire contemporaine. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, contributions et articles historiques, centrés sur le mouvement socialiste, communiste et ouvrier en Suisse. Il a publié, entre autres, Un itinéraire politique à travers le socialisme en Suisse romande. La vie du Dr Maurice Jeanneret–Minkine (1886–1953) aux Éditions de l’Aire (1991), et Popistes. Histoire du Parti Ouvrier et Populaire Vaudois 1943–2001 aux Éditions d’en bas (2002).
Dans le champ de l’histoire politique et médicale de la Suisse, ce livre s’intéresse de près à la Centrale sanitaire suisse et surtout à sa branche romande, une organisation d’entraide sanitaire dont l’existence est trop peu connue.
Née lors de la guerre civile espagnole, la Centrale sanitaire suisse, fondée sous l’égide du Parti communiste, vient en aide à l’armée républicaine qui ne dispose que de rares médecins et d’aucun service médical organisé. Son action est importante pendant la guerre d’Espagne : fourniture d’ambulances, de matériel sanitaire et de médicaments, missions de médecins et infirmières suisses. Après une activité réduite pendant la Seconde Guerre mondiale, des missions en Yougoslavie (dès 1944) et un soutien aux combattants antifascistes et aux victimes du nazisme, c’est la guerre du Vietnam qui provoque en 1965 la renaissance de la CSS. Son centre se déplace alors en Suisse romande. Elle fournit entre autres, tant à la République démocratique du Vietnam qu’au Front de Libération du Sud Vietnam, des trousses chirurgicales, des équipements de radiologie et de laboratoire, des antibiotiques et des antimalariques. La CSS poursuit son aide au Vietnam après la réunification du pays.
La troisième phase de l’histoire de la CSS est marquée par une diversification des actions. Elle s’engage en Afrique, au Proche-Orient et surtout en Amérique centrale. Certaines actions ou missions sont entreprises en collaboration avec d’autres organisations, notamment l’OSEO, la Chaîne du Bonheur et le CICR. Malgré son caractère propre de « croix-rouge prolétarienne », l’histoire de la CSS s’inscrit donc dans celle des associations caritatives et d’aide au tiers-monde en Suisse.
Frédéric deshusses
Grèves et contestations ouvrières en Suisse 1969–1979
Le livre de Frédéric Deshusses, Grèves et contestations ouvrières en Suisse 1969–1979, est le second publié dans la collection « Présent du passé » des Archives contestataires. On ne s’étonnera donc pas de la place importante donnée au recensement des sources – travail de base de l’historien – dans cet ouvrage, qui, contrairement au récit narratif classique, commence par une hypothèse interprétative, pour ensuite procéder à une étude des sources, puis passer à la présentation d’une grève emblématique de la période, celle des ouvriers saisonniers de la Murer (bâtiment). Il aborde ensuite l’intervention militante dans deux entreprises, Gay frères (bracelets de montre) et Lucifer (électrovannes), dans sa phase de « construction de la contestation », c’est à dire du travail d’organisation souvent laissé dans l’ombre par la surexposition médiatique de l’explosion gréviste.
L’intérêt de recourir aux fonds d’archives, comme les Archives contestataires, c’est qu’elles contiennent désormais des documents déposés par ceux et celles qui furent des acteurs et des actrices de cette époque, permettant ainsi de reconstituer tout un pan de la réalité de ces mouvements de lutte. Un apport d’autant plus précieux que les luttes de la période ont pour caractéristique d’être menées en dehors des syndicats et des partis ouvriers traditionnels, donc d’échapper aussi à leur documentation.
En guise de mise en bouche, voici comment Frédéric Deshusses justifie son approche en terme de cycle de lutte : « Il semble ainsi justifié d’isoler la décennie 1969–1979 pour une étude de la contestation ouvrière en Suisse. Tout d’abord, cette décennie se détache nettement, du point de vue de la statistique des grèves, de celles qui la précèdent et la suivent. Ensuite, il existe des éléments spécifiques (critique de la politique ouvrière du PdT et des syndicats, restructuration capitaliste de grande ampleur) qui s’articulent avec cette contestation et qui disparaissent ou se modifient considérablement autour de 1979. Enfin, les formes prises par cette contestation sont relativement homogènes : centralité des assemblées ouvrières, marginalité des syndicats, volonté de faire sortir les conflits du cadre de l’usine ou du chantier. Il est donc légitime d’envisager cette série de grèves comme un cycle plutôt que comme une succession de luttes isolées. Les diverses luttes se nourrissent entre elles, des moyens de communication existent pour rendre publics les récits de ces luttes, pour les comparer entre elles, pour diffuser des analyses. » DS