Les requérants osent s'exprimer!

La reviviscence du mouvement en faveur de l’asile a permis, indirectement, quelque chose d’inédit : l’écriture d’un livre par un de ces « invisibles » privé de tout droit, à qui on refuse l’asile et la dignité humaine,  un requérant débouté.

Yaovi Olivier Mawussi Bossa, étudiant en droit à l’Université de Lomé et opposant politique au régime togolais, torturé dans une première arrestation,  a dû quitter d’urgence son pays, menacé de mort. Un passeur lui procure de faux papiers pour demander l’asile en France. L’avion fait escale à Cointrin et Olivier est arrêté, le 15 mai 2014, par les gardes-frontières. L’alerte avait été donnée à l’escale précédente…

 

 

L’expérimentation de la haine

 

Yaovi Bossa raconte son désarroi face au drôle d’accueil et au bizarre séjour forcé à l’aéroport qui dure plus d’un mois.  Les membres d’ELISA et de l’AGORA lui offrent leurs services, mais dans ce contexte, il s’en méfie. Après deux auditions à l’Office des migrations (ODM), dont il sent toute l’hypocrisie, il est conduit menottes aux poings à la prison de Frambois.  «La première nuit a été très difficile. La haine nous rongeait dans notre for intérieur. Des milliers d’idées monstrueuses défilèrent dans nos têtes. Je ne pouvais pas situer où se trouvait ma conscience, j’étais perdu dans un grand désert … Quand je prends du recul, je pense sincèrement que si nous étions renvoyés cette nuit, nous deviendrons à jamais des monstres pour l’humanité et surtout pour la race blanche».

A Frambois il comprend les rouages de la société suisse qui les broie, lui et ses camarades de prison. La haine rôde On haïssait les Blancs et la manière dont ils dirigeaient le monde»),  mais aussi la solidarité. Des prisonniers plus anciens font part de leur sagesse à Yaovi, avant leur expulsion forcée. Sa propre finesse juridique et la conviction de son avocate conjuguées font qu’il est libéré après deux mois. «Ainsi commença une nouvelle aventure, celle de l’étranger».

Diplômé, maîtrisant parfaitement le français, en bonne santé et costaud, Yaovi pense pouvoir gagner sa vie;  en fait, il «passe  du statut de  détenu en attente de renvoi à celui de semi-migrant toujours en attente de renvoi». Sa liberté signifie d’être livré sans soutien à la rue et à ses dangers. «Le trafic de drogue est le seul boulot qui n’a pas besoin d’un permis. Alors ce serait lâche de laisser pourrir sa vie sans essayer de la sauver». Mais «malgré toutes les opportunités offertes, je refusai de m’aventurer dans le trafic de la drogue et ma nouvelle vie fut terrible». 

Yaovi va basculer dans l’alcool pour contrer le désespoir, quand l’AGORA lui propose d’entrer dans un atelier d’écriture à Carouge. 

 

 

Ecrire pour survivre

 

L’écriture va lui permettre de survivre. Il rédige un livre de près de 90 pages, qu’il fait imprimer par Trajets au fur à mesure des demandes et par sa vente (10 francs/pièce) parvient ainsi à gagner par sa plume de quoi compléter l’aide d’urgence de 10 francs par jour. Son témoignage inhabituel interpelle, donne à découvrir des aspects encore insoupçonnés du vécu des déboutés. La presse et même la TV s’intéressent à lui. Sereinement, avec son courage tranquille, Yaovi accepte les interviews, les lectures, et surtout rencontre des gens, noue des amitiés suisses, s’intègre dans des associations, donne des coups de main aux Jardins de Cocagne.  Cependant, il reste solidaire de ses « frères » et participe au mouvement Stop Bunkers et aux manifestations.  Pour les mi­grant·e·s, ce document critique, fort instructif et malgré tout plein d’espoir, est une invite à ne pas sombrer dans la haine et la drogue. 

 

Maryelle Budry

 

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Témoignage I, II, III

Trois brochures sont diffusées par Stop Bunker sur leurs stands de lutte. Témoignages recueillis par des mi-li-tant·e·s de requérants d’asile mobilisés pour dénoncer leurs conditions d’existence à Genève. Leur lutte, leurs paroles et leurs actions sont relayées sur le blog
stopbunkers.wordpress.com