Allemagne
Allemagne : La Paix sociale s'effrite
Les statistiques le disent déjà, 2015 connaîtra une augmentation notable des grèves, non seulement par rapport à 2014, année particulièrement « molle », mais aussi par rapport à 2013. Le conflit à la Poste a mobilisé 32 000 personnes durant presque quatre semaines, celui des éducatrices de la petite enfance 23 000 pendant quatre semaines pleines. En y ajoutant les confrontations à Lufthansa et dans les chemins de fer, on aura une première idée des tensions sociales qui traversent l’Allemagne d’Angela Merkel.
Incontestablement, le syndicat GDL de la Deutsche Bahn (chemins de fer) ne manque pas de ténacité. Depuis plusieurs années, ce petit syndicat, regroupant à l’origine des conducteurs de locomotives et plutôt conservateur au départ, fait preuve de combativité. Il a ainsi réussi à parer l’attaque menée par la direction de la Deutsche Bahn (DB), qui cherchait à l’exclure des négociations collectives, en profitant d’une nouvelle législation dite de l’unité tarifaire, qui donne un rôle décisif à l’organisation syndicale majoritaire. Dans les chemins de fer partiellement privatisés, cette organisation est l’EVG, membre de la faîtière DGB, proche de la social-démocratie.
Un résultat étonnant
Grâce à une grève illimitée en mai, le GDL a réussi non seulement à se maintenir comme organisation négociatrice de conventions collectives pour les cinq prochaines années – malgré la nouvelle loi – mais aussi à négocier quatorze conventions. La procédure de médiation de début juillet ne lui a pas permis d’aller plus loin que ce que l’EVG avait petitement obtenu en matière d’augmentation de salaire ; elle contient en revanche l’embauche de personnel supplémentaire et une réduction du temps de travail d’une heure, entre autres. Rappelons que la direction de la DB voulait contenir le GDL au seul secteur des conducteurs de locomotive et l’écarter ensuite des négociations collectives. La défense du syndicat a donc été victorieuse, malgré une campagne de dénonciation haineuse du GDL et de son président Claus Weselsky, menée par tout l’establishment et surtout par les médias.
Limites du bureaucratisme à la Poste
Bien organisés dans le grand syndicat des services Ver.di, les postiers et les postières de la Poste allemande privatisée et ses multiples entreprises (dont DHL pour les colis) n’ont pas réussi à contrer le cœur de l’offensive de la direction, la création de sociétés régionales de DHL (DHL Delivery) dans lesquelles ne s’appliquerait plus la convention collective de la Poste, mais celle, bien plus mauvaise, de la branche de l’expédition et de la logistique. Cela implique une perte de salaire de 20 % pour le personnel concerné. La direction de la Poste alla même jusqu’à « proposer » aux employé·e·s de DHL avec un contrat à durée déterminée à passer chez DHL Delivery avec un contrat à durée indéterminée. En cas de refus, la porte était grande ouverte !
Dirigées très bureaucratiquement, comme si la participation la plus faible des grévistes au déroulement de leur propre lutte était l’objectif, les grèves d’avertissement, puis la grève reconductible de début juin ne permirent pas de répondre vraiment à la stratégie de la direction, même si les distributeurs de colis de DHL restèrent soumis à la convention de la Poste. La création des filiales régionales se fera, le temps de travail reste inchangé et l’augmentation des salaires est minime. Toutefois, la protection contre les licenciements pour raisons économiques est prolongée jusqu’en 2019 et d’autres externalisations ou filialisation sont bloquées jusqu’en 2018. Et une prime unique de 400 € sera versée.
Le retour des éducatrices de la petite enfance
Contrairement à celle de 2009, la lutte des éducatrices de la petite enfance – et d’autres salarié·e·s du travail social – voit sa légitimité reconnue dans l’opinion publique et une partie significative des parents concernés par les actions de grève s’est solidarisée avec elles. Une première vague d’avertissement, suivie de quatre semaines de grève en juin avaient débouché sur une médiation, qui privilégiait les directrices des crèches, alors que les éducatrices revendiquaient une revalorisation de leur fonction. Si le syndicat Ver.di parut sur le point d’accepter la proposition, les éducatrices – devant être consultées par le syndicat, contrairement à la Poste – la refusèrent massivement. En cause, l’insuffisance de l’augmentation salariale proposée comme la durée de cinq ans de la convention.
Le travail des éducatrices de la petite enfance, considéré comme typiquement féminin, est en conséquence mal payé. La revalorisation demandée par ces travailleuses entraînerait, pour les catégories du service public disposant de qualifications professionnelles analogues, une augmentation de salaire de 10 %. L’enjeu n’est pas rien, dans des services communaux où les conditions de travail se sont nettement dégradées, politique d’austérité oblige, alors que la charge de travail ne cesse de croître. Il faudra attendre début septembre, une fois la rentrée scolaire passée, pour savoir quel sera le sort réservé aux nouvelles propositions de l’association des employeurs.
La remontée des luttes à laquelle on assiste en Allemagne traduit sans doute une colère accumulée depuis longtemps, surtout dans les services, où privatisations néolibérales, dégradations des conditions de travail, perspectives précaires n’ont fait qu’empirer la situation générale. L’idéologie du compromis, du consensus et de la paix sociale s’essouffle. Cela d’autant plus que la « grande » conquête sociale de la coalition gouvernementale SPD-CSU, le salaire minimum, s’est transformée, à coup d’exemptions multipliées, en un simple trompe-l’œil.
Daniel Süri