Assurer les soins dentaires au plan cantonal

Assurer les soins dentaires au plan cantonal : Vers un système d'assurances sociales solidaires

Coup sur coup, en juillet 2014 dans le canton de Vaud, et tout récemment à Neuchâtel, deux initiatives pour la mise en place d’assurances cantonales obligatoires prenant en charge le remboursement des soins dentaires ont fait un tabac auprès de la population, recueillant largement plus que le nombre de signatures requis. A Genève, Ensemble à gauche va déposer un projet de loi analogue devant le Grand Conseil sous peu, et lancera également une initiative populaire si la droite majoritaire refuse cette mesure sociale élémentaire.

Les soins dentaires coûtent en effet quelque 4 milliards de francs par an au niveau national, dont près de 90 % sont à la charge exclusive des patients. Pour cette raison, une partie de la population, en particulier les personnes les plus démunies, diffère des traitements indispensables, au risque de développer d’autres pathologies plus graves (infectieuses, cardiaques, cancéreuses…). Cette absence de solidarité est socialement inacceptable et économiquement absurde : elle provoque un grand nombre de souffrances inutiles, impose à terme des traitements lourds qu’il aurait été possible d’éviter, et ponctionne le budget global de la santé.

La droite a toujours défendu  un système d’assurances sociales fondé sur la responsabilité individuelle. A ses yeux, les victimes de l’invalidité, de la maladie, du chômage, etc. sont toujours présumées responsables de ce qui leur arrive, et il faut donc refuser de couvrir les risques contre lesquels elles auraient pu se prémunir. C’est avec ce type d’arguments que l’extrême droite a cherché récemment à exclure du remboursement les frais de l’interruption volontaire de grossesse. Et c’est avec la même logique que la droite pousse des hauts cris contre l’assurance obligatoire des soins dentaires. Ne suffirait-il pas de se brosser convenablement les dents pour éviter tout problème ?

Car, si les primes d’assurance maladie sont aujourd’hui les mêmes pour toutes et tous, qu’une partie des frais sont à la charge du patient, et qu’une franchise minimale est imposée à chacun, c’est, nous dit-on, qu’un système plus solidaire risquerait de favoriser l’abus de soins. Or, c’est précisément le contraire qui est vrai: selon une enquête genevoise publiée en 2012, 15 à 20 % des malades renoncent aujourd’hui à se soigner (34 % pour les très bas revenus), et dans trois quarts des cas, ce sont les soins dentaires qui passent à la trappe. Si bien que dans le canton de Vaud, selon Pierre-Yves Maillard, «la santé dentaire des populations défavorisées correspond à celle des habitants des pays en voie de développement…»

 

Une assurance cantonale  obligatoire des soins dentaires sur le modèle de l’AVS représenterait un prélèvement de 0,4 à 0,5 % sur les salaires et les charges patronales. Pour une minorité de non-cotisants à l’AVS, elle incomberait au budget de la santé et reposerait donc largement sur l’impôt direct progressif. Un tel système est compatible avec le droit fédéral, ce qui permet aujourd’hui de commencer une série de batailles sur le plan cantonal (des projets sont aussi actuellement à l’étude au Valais, au Tessin, etc.) dans l’optique de mettre en place à terme une véritable assurance fédérale, comme ça a été le cas avec l’assurance maternité, d’abord introduite à Genève.

Mais au-delà des soins dentaires, ces propositions permettent aussi de remettre sur le tapis la perspective d’un système complet d’assurances sociales solidaires. Signe des temps, après 45 ans de thatchérisme et de blairisme, la base populaire des travaillistes en Angleterre se montre aujourd’hui séduite par un défenseur des services publics et des assurances sociales, Jeremy Corbyn, qui ferait pâlir la plupart des leaders sociaux-démocrates européens. Il est donné actuellement gagnant dans la course à la direction du Labour.

 

N’est-il pas en effet grand temps  de relancer la bataille des idées contre le néolibéralisme et ses émules soi-­disant « sociaux-démocrates », de Blair en Angleterre à Schröder en Allemagne, de Hollande en France à Berset en Suisse, qui désarment les milieux populaires face à l’offensive politique visant à accroître les privilèges des possédants et la précarité du plus grand nombre ? Les mobilisations en cours pour la mise en place d’assurances cantonales obligatoires des soins dentaires financées par des prélèvements solidaires est un pas dans cette direction en Suisse.

Jean Batou   Jean-Michel Dolivo 

Marianne Ebel