Culture
Culture : Quoi ma gueule ?
Pour l’administration ils sont des travailleurs·euses atypiques précaires. Pour le grand public ce sont des artistes. Quelles sont les conditions de travail des professionnel·le·s de la scène et comment les améliorer ? Un bref portrait des intermittent·e·s de Suisse romande.
Les professionnel·le·s des arts de la scène connaissent, en Suisse romande comme ailleurs en Europe, des conditions de travail particulièrement difficiles. Ils sont engagés par contrat de courte durée (CDD) souvent allant de quelques jours à un ou deux mois, rarement plus. Le théâtre, la danse, l’opéra, les spectacles que nous avons la chance comme spectateurs·trices d’apprécier sont produits par des (petites) équipes de projet qui vivent de façon éphémère. Quelques semaines d’intense travail puis le vide et enfin (peut-être) un nouveau projet.
Une réalité constituée de contrats de courte durée
Alors, à part le trac et les bravos, quelles sont vraiment les conditions de travail de la plupart des interprètes ? Parmi les personnes avec un niveau de formation élevée, ce sont sans doute les plus précaires. Comme leurs contrats sont de moins de trois mois, les employeurs·euses ne sont pas obligé·e·s de cotiser au deuxième pilier (LPP) pour eux. Arrivé·e·s à l’âge de la retraite, c’est donc souvent par passion mais aussi par nécessité qu’ils·elles continuent à travailler. Après avoir souvent eu des revenus assez faibles tout au long de leur carrière, ils·elles sont souvent obligé·e·s de demander des aides financières à la retraite. Cette situation intolérable a d’ailleurs été évoquée dans le rapport fait par l’Office fédéral de la Culture (OFAS & SECO).
On peut aussi rappeler que le système suisse d’assurances sociales a été pensé pour des travailleurs et travailleuses « typiques » et est donc assez mal adapté aux conditions d’engagement des professionnel·le·s du spectacle. Aussi bien l’assurance-chômage que l’AVS, la perte de gain en cas de maladie, tout est fait pour des salarié·e·s engagé·e·s sur une longue durée. Et pour les « intermittent·e·s » tout devient un casse-tête. Ainsi, aux bas revenus s’ajoutent les difficultés à pouvoir bénéficier des prestations auxquelles ont droit les salarié·e·s : les allocations familiales sont un vrai cauchemar pour les parents « intermittent·e·s ».
Licencié·e·s pour cause de grossesse ou avoir défendu ses droits syndicaux
D’autres particularités peuvent être mises en avant : on sait qu’en Suisse la protection des travailleurs·euses contre le licenciement est assez faible. Mais on ne peut pas, par exemple, licencier quelqu’un en raison de ses activités syndicales. Toutefois, dans un secteur où les contrats sont toujours de courte durée, il n’est pas besoin de licencier pour des positions syndicales : il suffit de ne pas engager ! Les interprètes qui se battent pour leurs droits de travailleurs·euses sont souvent mal vu·e·s et parfois font l’objet de « blacklistage » par des employeurs·euses. Et ceci en toute légalité. La (faible) protection qu’accorde le code des obligations est quasiment inexistante pour les professionnel.le.s de la scène et il leur faut donc un courage exemplaire pour revendiquer leurs droits de salarié·e·s. Chapeau bas !
Enfin, cerise sur le gâteau, la protection dont bénéficie la femme enceinte est aussi quasiment inexistante pour les comédiennes ou les danseuses. Dans un secteur où l’apparence physique est une des « composantes » du contrat, de nombreux employeurs·euses hésitent à engager une femme enceinte. Et certains n’hésitent pas à rompre le contrat pour « protéger la santé de la mère et de l’enfant ». Virée, mais en bonne santé !
Une précarité de carrière qui fragilise
Tous ces aspects font que la carrière des professionnel·le·s des arts de la scène est souvent en dents de scie, avec des années de creux, des revenus faibles et irréguliers. Le fait d’être tout le temps en recherche d’emploi empêche aussi souvent d’avoir des positions politiques ou syndicales marquées, de peur de se couper de futurs emplois. Les revendications individuelles sur le contrat de travail sont souvent abandonnées par crainte de ne pas avoir le rôle.
C’est donc un petit miracle que ces professionnel·le·s de la scène tous métiers confondus se battent encore régulièrement pour leurs droits, tant par rapport aux assurances sociales que comme salarié·e·s.
Anne Papilloud