Licenciements abusifs

Licenciements abusifs : Une brèche genevoise dans l'impunité patronale

Le 16 octobre, le parlement genevois adoptait un projet de loi déposé par des députés de l’Alliance de Gauche – dont le soussigné – il y a 19 ans ! Ce projet de défense des droits de travailleurs·euses abusivement licenciés date en effet de novembre 1996.

Depuis lors, le projet a émergé 7 fois en plénum du Grand Conseil, assorti de 7 rapports successifs… Du jamais vu, démontrant qu’à 6 reprises il ne s’est pas trouvé de majorité en plénière pour voter une disposition prévoyant juste que, dans le secteur public genevois, si un tribunal déclare qu’un licenciement est abusif, il peut ordonner la réintégration du salarié licencié. Mais la «longévité» anormale du projet montre aussi, qu’à 6 reprises, il ne s’est pas trouvé de majorité pour oser voter non et liquider le projet, malgré les majorités de droite successives. Ainsi, à chaque fois, le projet repartait pour un tour en commission.

 

Le revenant au sept retours

 

Mais le 7e retour de ce spectre législatif, hantant les tiroirs de commission depuis le siècle dernier, a été le bon. Pour la première fois, grâce notamment à l’excellent travail en commission du rapporteur Christian Dandrès, député PS et militant SSP, qui a amendé le projet pour le mettre en prise avec la législation actuelle, grâce au soutien syndical en appui, mais aussi avec le vote d’une extrême-droite (MCG, UDC) voulant soigner à bon marché son image dégradée auprès des fonctionnaires à la veille des élections, le projet a passé la rampe, au grand dam du gouvernement et de l’Entente bourgeoise (PLR,PDC).

C’est peu de chose car, au final, ce ne seront que quelques cas qui bénéficieront directement des réintégrations prévues par la loi, mais c’est beaucoup aussi parce que cela limitera la marge de manœuvre de l’employeur-Etat, qui ne disposera plus aussi facilement du licenciement abusif dans son arsenal patronal. Ceci au moment d’une offensive massive contre les conditions de travail et de salaire des employé·e·s du secteur public, dont la hausse du temps de travail de 40 à 42 h sans compensation est un volet, s’attaquant à une conquête syndicale majeure du secteur, obtenue de haute lutte à l’époque.

 

 

Une brèche exemplaire

 

C’est beaucoup aussi, parce que, à l’échelle helvétique, c’est une première et unique brèche dans l’impunité dont jouissent les patrons en la matière. L’USS communiquait d’ailleurs le 5 octobre au sujet d’une étude de l’Université de Neuchâtel, sur mandat de la Confédération, confirmant que pour la protection contre les licenciements, le droit du travail suisse n’est conforme, ni aux exigences de l’OIT, ni à celles de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Un constat montrant le bien fondé des plaintes successives en la matière déposées par les syndicats suisses auprès de l’OIT visant à limiter la liberté de licencier quasi-­illimitée pour les patrons dans ce pays. L’une des revendications de l’USS étant la réintégration des salarié·e·s abusivement licenciés, notamment de représentant·e·s du personnel. L’USS organise d’ailleurs le 13 novembre un colloque sur les exigences du droit international en matière de protection contre les licenciements abusifs.

 

 

Le licenciement abusif comme outil de gestion souple et efficace

 

On comprend dans ce contexte l’opposition acharnée de partis de la droite patronale au vote de notre loi. Le rapporteur de minorité PDC a soutenu que «le Grand Conseil devrait agir comme le Conseil d’administration d’une entreprise privée» afin que le Conseil d’Etat puisse être «un vrai patron»… qui n’ait pas «une approche légaliste» (consistant à réintégrer des employé·e·s abusivement licenciés) mais qui pratique a contrario des «principes de gestion des ressources humaines modernes et efficaces».

Le Conseiller d’Etat Dal Busco a refusé aussi de déroger aux «principes sains de management des ressources humaines» qui soient «dynamiques, souples et conformes à ce qui se fait dans le privé». L’ancien secrétaire patronal Barillier PLR a renchéri dans un appel pathétique à l’UDC lui demandant de renoncer à une alliance qui voterait une loi interdisant «toute souplesse et toute efficacité» au secteur public. Beaux aveux spontanés de l’incompatibilité du néolibéralisme avec la démocratie et le règne du droit !

Pierre Vanek