Genève, Neuchâtel, Saint-Gall, richesses bâties sur la traite négrière
Genève, Neuchâtel, Saint-Gall, richesses bâties sur la traite négrière
En préparant mon programme de cabaret pour le bicentenaire du canton de bicentenaire de lindépendance haïtienne. En recherchant lhistoire de Toussaint Louverture, héros de la libération noire en Haïti, jai découvert que, parmi les troupes envoyées par Napoléon aux Antilles pour y rétablir lesclavage, il y avait des soldats saint-gallois. En étudiant lhistoire de cette expédition, jai mesuré la coopération de certaines grandes familles suisses à la traite des noirs et à lesclavage.
De gauche, je suis généralement peu surpris par labsence de scrupule de la bourgeoisie suisse dans le choix de ses partenaires commerciaux, mais ce fut pour moi un vrai choc. Des relations avec Pinochet, Botha, Suharto, Mobutu, Duvalier, Abacha? Bien sûr. Je connaissais la galerie des dictateurs qui ont eu des liens privilégiés avec la Suisse! Mais une famille saint-galloise, propriétaire desclaves au Surinam? La grande dynastie textile de Trogen (AR) où jenseigne langlais et lhistoire au lycée cantonal qui senrichit grâce au trafic triangulaire?
Par la suite, jai contacté des amis, historiens et archivistes. Des sources qui confirment ces faits existent bel et bien. Cette implication suisse sinscrit dans la logique de lhistoire économique européenne du XVIIIe siècle. Les livres dAlbert Wirz, sur la traite transatlantique, ou de Daniel Moser (Berne), sur «lHolocauste Noir», confirment ces thèses. Après la coopération helvétique avec les nazis et avec lApartheid, voilà un troisième chapitre de notre histoire, auquel il fallait faire face.
Dans cette situation les travaux dautres chercheurs, militants et historiens, comptent. Quand jai appris la tenue dun colloque à lUniversité de Lausanne, en octobre prochain, sur «La Suisse, la traite et lesclavage des Noirs», avec notamment Olivier Pétré-Grenouilleau, qui mentionne les noms de familles neuchâteloises impliquées dans le trafic desclaves, dans son «Argent de la traite», je me suis senti en bonne compagnie.
À lExpo, avec mes étudiants, javais pour la première fois découvert le nom de David de Pury sur un tableau de lhistoire neuchâteloise. Pendant les mois suivants, jai réussi à ajouter au nom de De Pury, ceux de De Pourtalès, Favre et Rossel, qui ont été aussi impliqués dans le colonialisme ou lesclavagisme. Puis, soudainement, au mois davril, jai entendu parler du sermon «qui fait scandale» à Neuchâtel! Du même coup, je découvrais deux nouveaux acteurs de la traite: De Meuron et De Peyrou.
Le sermon de Théo Buss a sans doute été la nouvelle qui ma le plus encouragé à poursuivre mon travail: une excellente motivation pour continuer à dévoiler cette effroyable complicité. Jétais aussi soulagé de constater que le courage civique qui sétait exprimé dans les milieux de gauche au cours des années de lutte pour une «Suisse sans Armée», contre lApartheid en Afrique du Sud ou contre les centrales nucléaires, navait pas tout à fait disparu.
Les villes françaises de Nantes et du Havre, de même que celles de Liverpool et de Bristol, en Grande Bretagne, ont dû parcourir un chemin douloureux pour admettre, quen tant que grands ports négriers, une part considérable de leurs richesses venait du sang et de la sueur des esclaves. Ce processus a duré jusquaux années 90. Aujourdhui, Liverpool a choisi daffronter ouvertement son passé esclavagiste, si bien quon lappelle la ville «championne toutes catégories».
Soyons optimistes! Travaillons ensemble pour mettre en route le même processus en Suisse! Neuchâtel? Genève? Saint-Gall? Quelle ville deviendra la Liverpool de Suisse?
Hans FÄSSLER*
* Hans Fässler, ancien député socialiste au grand conseil saint-gallois, a mis sur pied «La Tournée Bicentenaire» du canton de Saint-Gall avec son programme de cabaret «Louverture stirbt 1803». www.louverture.ch