Qui sème la tempête...

Samedi 19 décembre, une manifestation «sauvage», réunissant plus de 500 personnes a sillonné les rues de la Ville de Genève, laissant sur les murs de nombreux slogans, plusieurs vitrines brisées ainsi qu’un manifeste revendiquant la prise de la rue pour – entre autres – ne pas «laisser nos vies dépendre de la logique du fric et de la rentabilité». Les réactions outragées sur les dégâts matériels se sont succédé depuis, au détriment d’une réflexion de fond sur les causes d’un mécontentement qu’il s’agirait de prendre au sérieux.

Pour comprendre  cette colère, il faut se replacer dans le temps long de l’étouffement systématique des lieux autogérés et notamment la liquidation systématique des squats. Il y a 15 ans, Genève en comptait encore près d’une centaine, qui offraient notamment à la jeunesse de cette ville d’innombrables respirations culturelles et sociales hors du monde marchand et institutionnel: concerts à la pelle, soirées improbables, films obscurs, théâtre d’avant-garde, performances uniques, locaux de répète, réunions, conférences, etc. le tout arrosé à des prix plus qu’abordables.

Même en n’ayant connu que la queue de comète de cet âge d’or, difficile d’oublier cette petite Genève avec un embarras du choix culturel et festif à faire pâlir d’envie pas mal de mégapoles. Puis Zappelli, Bonfanti, Maudet, Jornot et consorts sont passés par là, et se sont échinés à tout liquider. Chaque initiative a été réprimée, chaque nouvelle occupation évacuée dans l’heure, ou presque.

Aujourd’hui, les rares espaces qui échappent encore à la marchandisation ou à l’institutionnalisation intégrale sont menacés dans leur existence, pour des prétextes réglementaires absurdes ou encore des coupes dans leurs moyens de survie… les condamnant à dépenser une part importante de leur précieuse énergie dans des combats aussi inégaux qu’essentiels face à une droite plus majoritaire et plus décomplexée que jamais.

Certes, le résultat de la parade sauvage de samedi n’est pas toujours très beau à voir. Et comme d’habitude avec ce genre de méthodes, le risque que cela amène un durcissement contre-productif est non négligeable. Mais qui pourrait se réjouir d’une jeunesse qui se contenterait unanimement et docilement de voir son horizon social et culturel se réduire à vider des Magnums de Champagne en boîte de nuit? Qui croyait vraiment que la strangulation continuelle des marges puisse se faire sans aucun dommage?

Alors que les coupes budgétaires cantonales et municipales dans les services publics et la culture – à l’exception notable du Grand Théâtre, épargné par les coupes municipales – menacent le bien commun et l’activité de nombreux acteurs culturels ; alors que le Conseil d’Etat et le Grand Conseil restent inflexibles après 8 jours de grève et des manifestations massives en défense des services publics, la révolte gronde face à la trajectoire globale de nos vi(ll)es sous domination néolibérale et autoritaire.

Les majorités de droite et d’extrême-­droite fédérales, cantonales et municipales, qui entendent faire plier les derniers bastions de résistance à la marchandisation du monde seraient bien avisées de prendre cette colère très au sérieux.

Thibault Schneeberger