La Turquie d'Erdogan

La Turquie d'Erdogan : Répression, autoritarisme et terreur

Le nouvel attentat-suicide du 13 janvier 2016 revendiqué par Daech (le quatrième en six mois après ceux de Diyarbakir, Suruç et Ankara) a causé la mort de dix personnes en plein milieu du quartier touristique de Sultan Ahmet à Istanbul ; il n'a rien changé à la politique du gouvernement de l'AKP. Ce dernier poursuit, au contraire et sans retenue, sa répression généralisée contre les Kurdes et les opposant·e·s démocrates et progressistes.

Le couvre-feu permanent a été maintenu dans certaines régions du sud-est de la Turquie depuis décembre, alors que l'armée et la police conduisent des opérations de répressions contre différents groupes de jeunes activistes, notamment le Mouvement de la jeunesse patriotique révolutionnaire, la branche jeunesse du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

 

 

Guerre contre les Kurdes

Plus de 200 000 personnes vivent dans les zones concernées, qui englobent les villes de Cizre et Sirnak, et le quartier de Sur, dans la ville de Diyarbakir. Certaines n'ont pas accès à la nourriture ni aux soins, à quoi s'ajoutent de graves pénuries d'eau et d'électricité. Plus de 150 civils et au moins 24 soldats et policiers auraient été tués depuis la mise en place du couvre-feu en août 2015.

La répression du gouvernement de l'AKP est sanglante. Le 4 janvier 2016, Sevê Demir, membre de l'Assemblée du Parti démocratique des Régions (DBP), Pakize Nayir, coprésidente de l'Assemblée populaire de Silopi et Fatma Uyar, membre du congrès des Femmes libres (KJA) ont été exécutées à Silopi alors qu'elles étaient aux mains des forces de sécurité du gouvernement. Des membres de la Marche mondiale des Femmes ont d'ailleurs organisé un rassemblement le 21 janvier 2016, à Genève, devant le consulat général de Turquie pour dénoncer ces crimes. Les manifestantes ont aussi envoyé par recommandé une lettre au gouvernement turc à Ankara demandant notamment l'arrêt des assassinats et de la répression ; le consulat de Turquie de Genève avait en effet refusé de la transmettre.

Le gouvernement turc a réaffirmé qu'à ses yeux le PKK et Daech étaient assimilables. Le Premier ministre a aussi déclaré qu'il n'hésiterait pas à bombarder les forces du PYD (le PKK syrien) en Syrie tout comme il a bombardé le PKK dans le nord de l'Irak.

Malgré tout, les résistances populaires dans les régions sous couvre-feux continuent.

Répression contre les intellectuels

Le président Erdogan et le gouvernement de l'AKP se sont également lancé à l'attaque des universitaires signataires de la pétition «Nous ne serons pas complices de ce crime», qui a recueilli 1128 signatures d'enseignants-­chercheurs et revendique le retour aux conditions du cessez-le-feu et la reprise des négociations avec le mouvement kurde. Les signataires dénoncent les politiques meurtrières de l'Etat turc et exigent que «cessent les massacres et l'exil forcé qui frappent les Kurdes et les peuples de ces régions, la levée du couvre-feu, que soient identifiés et sanctionnés ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l'homme, et la réparation des pertes matérielles et morales subies par les citoyens dans les régions sous couvre-feu. A cette fin, nous exigeons que des observateurs indépendants, internationaux et nationaux, puissent se rendre dans ces régions pour des missions d'observation et d'enquête».

 

Dans son discours du 15 janvier, le président Erdogan a déclaré que les universitaires, qui se rangent dans le camp de la pire noirceur, «commettent le même crime que ceux qui commettent des massacres». En début de semaine, le président a dénoncé la pétition comme une «trahison» et qualifié les universitaires de «cinquième colonne» des terroristes. De plus, le Conseil de l'enseignement supérieur, puis les rectorats, un par un, ont affirmé que la pétition était inacceptable et que le nécessaire allait être fait vis-à-vis des signataires…

Plusieurs universitaires ont depuis signalé avoir reçu des menaces sur les réseaux sociaux, par téléphone et des messages adressés à leur université. Et le chef de la mafia d'extrême droite et grand soutient d'Erdogan, Sedat Peker, a déclaré encore une fois – comme juste avant le massacre de Suruç – que «le sang allait couler à flots» et qu'«ils allaient prendre une douche avec le sang de ces terroristes».

En s'attaquant aux universitaires démocrates et en les criminalisant, Erdogan vise à anéantir l'hégémonie culturelle de la gauche dans le secteur universitaire, un des seuls domaines qui ne lui soit pas totalement inféodé. Ces actions lui permettent, tout en attisant la haine nationaliste envers les Kurdes, la gauche et les intellectuels, de conquérir des secteurs plus importants de la base de l'extrême droite.

Des résistances contre ces attaques se sont néanmoins développées parmi les étudiants et les enseignants non signataires de la pétition, tandis que diverses initiatives professionnelles pour la défense de la liberté d'expression ont vu le jour. Pétitions et actions de journalistes, d'avocats, de cinéastes, de maisons d'éditions, de «cols blancs», d'écrivains, de syndicats, ont été organisées pour protester contre ce lynchage médiatique sur ordre du gouvernement, ou directement en soutien aux revendications des universitaires.

 

Dénonciation par la Marche Mondiale des Femmes des assassinats politiques dans le Kurdistan turc. Consulat de Turquie à Genève, 21 janvier 2016

 

Un autoritarisme qui ne se cache plus

Au début de l'année, Erdogan n'a pas hésité à citer l'Allemagne du temps d'Hitler comme exemple d'un système présidentiel efficace…

Notre solidarité avec les résistances populaires des Kurdes, des démocrates et progressistes et avec les différentes initiatives contre l'autoritarisme croissant et sanglant du gouvernement de l'AKP doit être totale et active.

Joe Daher