France, droit du travail

France, droit du travail : Sarko en rêvait, Hollande l'a fait

Le choc est rude, même si l’accumulation récente de lois douces aux oreilles patronales (Loi Macron, Loi Rebsamen, p. ex.) le laissait prévoir: le gouvernement français, en proposant sa réforme du Code du travail, appelée Loi El Khomri, démonte la protection des salarié·e·s au bénéfice de la «sécurisation des entreprises». Le droit du travail hexagonal régresse massivement en direction du… droit du travail suisse.

Avant de présenter son projet de loi simplifiant (sic!) le Code du travail, le gouvernement Valls avait préparé le terrain, idéologiquement parlant, en confiant au «vieux sage» Robert Badinter, la rédaction d’un rapport pour déminer le terrain. Badinter, auréolé de son passé de pourfendeur de la peine de mort, avocat et ancien ministre de la Justice, n’est pourtant pas un spécialiste du droit du travail. Il est en revanche l’époux d’Elisabeth Badinter, philosophe, certes, mais aussi actionnaire principale du groupe Publicis et grande fortune française.

La pomme ne tombant jamais loin de l’arbre, Robert Badinter avait écrit, à l’article premier de son rapport, une phrase éclairante, aujourd’hui reprise dans le projet de Loi El Khomri: «des limitations ne peuvent être apportées aux libertés et droits fondamentaux que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché» (nous soulignons). En hissant les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise au même niveau que les libertés et droits fondamentaux, R. Badinter fonde la possibilité de voir les unes s’imposer aux autres.

Autre dispositif préparatoire ouvrant la porte à la régression actuelle: l’art. 57 du rapport remettait gravement en cause le principe constant et général de la législation et de la jurisprudence française selon lequel lorsque deux textes sont applicables, celui qui est le plus favorable au salarié prend le dessus. Ce principe, dit de faveur, voit sa portée réduite par la phrase suivante: «les stipulations plus favorables du contrat de travail prévalent si la loi n’en dispose pas autrement». En clair: la loi peut détériorer les acquis du Code du travail et de la jurisprudence. Le droit du travail n’avait dès lors plus pour fonction première de corriger l’inégalité flagrante du rapport salarial, mais devait – selon la lettre de mission de Manuel Valls à la commission Badinter – «à la fois protéger les travailleurs et sécuriser les entreprises pour leur permettre de se développer».

 

 

Les principales dégradations prévues par la Loi El Khomri

 

La durée maximale du travail: auparavant de 10 heures par jour maximum, ou 48 heures par semaine maximum, ou encore 44 heures pendant douze semaines, il n’était possible d’y déroger que par un accord exprès de l’Inspection du travail, très rarement donné. Selon le projet de loi, un simple accord d’entreprise permettra de porter la durée quotidienne du travail à 12 h et la durée hebdomadaire à 60 h.

 

Les 35 heures: un accord d’entreprise autorisera le paiement des heures supplémentaires avec un supplément de 10 % seulement contre 25 % aujourd’hui. Autrement dit, les 39 heures et 30 minutes actuellement travaillées en moyenne nationale seront moins payées. Travailler plus pour gagner moins, même Sarko n’avait pas osé!

 

Le calcul du temps de travail: il sera possible de le calculer non plus hebdomadairement, mais sur une durée de 3 ans. Une flexibilité qui va plus loin que celle du célèbre article de crise (art. 57) inauguré par la convention collective du travail (CCT) de l’industrie des machines en Suisse.

 

Le licenciement économique: désormais, il sera possible de licencier en constatant simplement une «baisse des commandes» ou du «chiffre d’affaires». Petite attention au passage à l’intention des multinationales: seules leurs filiales françaises seront prises en compte pour juger de leurs difficultés. Et comme les indemnités pour licenciement abusif que les prud’hommes accordent sont revues à la baisse, le licenciement sera facilité d’autant. Au nom de la sauvegarde de l’emploi et de la lutte contre le chômage, certainement…

 

Le référendum d’entreprise: malgré une révision récente, favorable au patronat, du droit d’opposition syndical à un accord d’entreprise minoritaire, qui avait établi que la signature d’un accord était possible à 30 % des voix, mais qu’un droit d’opposition subsistait pour les syndicats qui recueillaient plus de 50 % de voix aux élections, la clause est piétinée dans le projet El Kohmri. La porte est ainsi ouverte, par le biais du référendum d’entreprise, à tous les chantages à l’emploi.

 

 

Une riposte unitaire est nécessaire

En attaquant frontalement le droit du travail, Vals et Hollande prennent le risque de saborder le Parti socialiste. D’où la charge contre la politique gouvernementale de Martine Aubry et de sa tribune «Trop, c’est trop!», publiée dans Le Monde (24.2.16). Mais, bien au-delà de l’inquiétude de notables sociaux-démocrates, l’indignation contre le projet de Loi El Khomri est forte. Une pétition «Loi Travail: non merci!» a déjà dépassé les 740 000 signatures et les manifestations locales se préparent un peu partout en France pour le 9 mars. Les organisations de jeunesse, syndicales, politiques et étudiantes ont rejoint le mouvement. Souvent recherchée, rarement trouvée, l’unité dans la mobilisation est nécessaire et possible.

Daniel Süri